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  • C’était un 6 décembre : Le jour où l’Empire automobile britannique s’est effondré

    C’était un 6 décembre : Le jour où l’Empire automobile britannique s’est effondré

    Il y a des dates qui marquent la fin d’une époque. Le vendredi 6 décembre 1974 est de celles-là. Ce jour-là, à la Chambre des Communes, le glas sonne pour la fierté industrielle anglaise. British Leyland, le colosse aux 18 marques, est en faillite virtuelle. Récit d’un suicide industriel sur fond de grèves sauvages et d’ingénierie du désespoir.

    C’est l’histoire d’un château de cartes que tout le monde voyait vaciller, sauf ceux qui l’habitaient. En ce vendredi d’hiver 1974, Tony Benn, le ministre de l’Industrie, lâche la bombe : British Leyland (BL) demande l’aide de l’État pour survivre.

    Les chiffres donnent le vertige : 70 millions de livres tout de suite pour ne pas mettre la clé sous la porte (l’équivalent de centaines de millions d’euros actuels), et 500 millions pour espérer un avenir. L’humiliation est totale pour Lord Donald Stokes, le patron du groupe, qui jurait quelques mois plus tôt ne jamais vouloir dépendre du gouvernement.

    Mais comment le géant qui produisait 40 % des voitures anglaises en est-il arrivé là ? Le choc pétrolier a bon dos. La vérité est que British Leyland s’est effondré sous son propre poids.

    L’usine à gaz aux 18 marques

    Pour comprendre le désastre, il faut regarder l’arbre généalogique. British Leyland n’était pas un groupe cohérent, mais un empilement hétéroclite né de fusions forcées. En 1968, sous la pression politique, on marie la British Motor Holdings (Austin, Morris, MG, Jaguar…) avec Leyland (Triumph, Rover).

    Le résultat est une aberration logistique : 18 marques, 70 usines, et une concurrence interne féroce. On frôle le ridicule avec l’ADO16 (la fameuse 1100/1300), vendue sous… sept blasons différents ! Austin, Morris, MG, Riley, Wolseley, Vanden Plas, et même Innocenti. Au lieu de rationaliser comme le faisaient les Américains, les Anglais multipliaient les réseaux et les références, créant un « mille-feuille » inefficace et coûteux.

    « Je songe à devenir marchand de glaces »

    Mais le véritable cancer de BL, c’est le climat social. Les années 70 sont celles de l’anarchie syndicale. Les conditions de travail dans les vieilles usines ex-BMC sont déplorables (sales, bruyantes, dangereuses), alimentant la colère ouvrière.

    Les chiffres de productivité cités à l’époque sont effrayants : quand Toyota produit 36 voitures par employé, British Leyland en sort péniblement 4. Lord Stokes lui-même, désabusé, confiait au Salon de Paris 1970 : « Je songe à me faire marchand de glaces. À peine un conflit est-il résolu qu’un autre éclate. »

    Le résultat ? Des délais de livraison de plusieurs mois pour obtenir une Austin ou une Triumph mal assemblée.

    Le grand remplacement

    Pendant que les usines anglaises sont à l’arrêt pour des « grèves sauvages », le marché, lui, n’attend pas. En 1974, l’Angleterre s’ouvre enfin pleinement au Marché Commun. C’est l’hallali.

    Les clients britanniques, lassés d’attendre des Morris Marina ou des Austin Allegro qui ne viennent pas, se tournent vers ceux qui ont du stock et des voitures fiables : Renault, Volkswagen, et surtout les Japonais. Datsun et Toyota inondent le marché avec des voitures disponibles immédiatement et suréquipées. Fin 1974, une voiture sur trois vendue au Royaume-Uni est étrangère.

    Ce 6 décembre 1974, la nationalisation ne fut pas un sauvetage, mais une mise sous assistance respiratoire. C’était l’aveu d’échec d’une industrie syndicaliste qui a préféré s’accrocher à ses traditions et ses luttes internes plutôt que de regarder le monde changer. Même Ford et GM menaçaient alors de quitter le navire britannique. Le naufrage ne faisait que commencer.