Au milieu des années 1990, le sport automobile vit une révolution. Les catégories d’endurance, en perte de vitesse face à l’essor de la Formule 1 et l’absence d’un véritable championnat du monde cohérent, trouvent un second souffle avec l’émergence des GT. La BPR Global GT Series attire les constructeurs et les médias : McLaren triomphe avec la F1 GTR, Ferrari aligne la F40 LM, Bugatti ose la EB110 et Mercedes se prépare à son tour à entrer dans la danse. Dans ce contexte, Porsche ne pouvait rester spectateur. À Zuffenhausen comme à Weissach, l’idée prend forme : créer une GT capable de dominer la catégorie reine, tout en respectant les nouvelles règles de la Gruppe GT1, apparue en 1994.
Une Porsche qui regarde vers Le Mans
La réglementation exigeait la production d’un modèle homologué pour la route. Porsche entreprend alors de dériver un prototype de course d’un 911 de série, comme elle l’avait déjà fait deux décennies plus tôt avec le spectaculaire 935 « Moby Dick ». L’opération donnera naissance à la 911 GT1, une machine hybride entre le coupé routier de Stuttgart et un pur-sang d’endurance.
La première version, dévoilée en 1996, conserve la face avant et la cellule centrale d’une 911 type 993. Derrière la cloison, tout change : un châssis tubulaire reçoit une mécanique inédite et une carrosserie dessinée pour générer un appui maximal. Les phares et feux proviennent bien du 993, mais l’esprit est ailleurs : c’est une voiture de course, civilisée uniquement par obligation.
Sous son capot arrière, la GT1 embarque un flat-six 3,2 litres biturbo refroidi par eau, fort de 544 chevaux et 600 Nm de couple. Associé à une boîte manuelle à six rapports et à un différentiel autobloquant, il propulse la bête à 310 km/h et expédie le 0 à 100 km/h en 3,7 secondes. Avec seulement 1 120 kg sur la balance, grâce à l’emploi massif de fibre de carbone et de matériaux composites, le rapport poids/puissance en faisait l’un des monstres routiers les plus extrêmes de son époque.
Pour la route, Porsche en construira… deux exemplaires seulement. Deux voitures-homologation, plus symboliques que pratiques, car leur utilisation hors circuit relevait presque de l’impossible. Mais elles suffisaient à offrir à Weissach le sésame pour engager la GT1 en compétition.
Le redesign 1997 : vers le 996
En 1997, Porsche révise son modèle pour l’adapter au style de la nouvelle génération 996. Les optiques changent, la carrosserie est profondément retravaillée et l’aérodynamique optimisée. Cette évolution, connue sous le nom de 911 GT1 Evo, bénéficie d’un soubassement inédit et d’une suspension améliorée, toujours réglable et pensée pour la compétition.
Pour homologuer cette version, Porsche va un peu plus loin et fabrique cette fois 21 exemplaires routiers. Chacun est vendu 1,55 million de deutsche Mark – un tarif astronomique à l’époque, réservé à une poignée de collectionneurs.
Le 7 mars 1997, la GT1 Evo effectue ses premiers tours de roues sur la piste d’essai de Weissach, pilotée par Bob Wollek. Comme sa devancière, elle développe 544 chevaux, mais avec des ajustements subtils pour répondre aux exigences de la FIA.
L’apothéose : Le Mans 1998
En compétition, la GT1 se confronte à une opposition féroce. La McLaren F1 GTR reste redoutable, mais c’est surtout l’arrivée du Mercedes-Benz CLK GTR qui change la donne : plus rapide, plus moderne, il relègue la Porsche à un rôle de challenger.
Pour 1998, Stuttgart riposte avec une nouvelle évolution, la GT1-98, encore plus basse, plus radicale, mais bridée par les contraintes techniques imposées aux turbos. Dans le championnat FIA-GT, elle ne parvient pas à battre Mercedes, qui rafle toutes les victoires. Mais sur le terrain le plus symbolique, celui qui compte plus que tout pour Porsche – les 24 Heures du Mans – la fiabilité fait la différence.
Dans la Sarthe, la GT1-98 renverse la hiérarchie : doublé triomphal en 1998, avec la victoire d’Allan McNish, Laurent Aiello et Stéphane Ortelli devant l’équipage Bob Wollek, Uwe Alzen et Jörg Müller. Porsche s’offre alors sa seizième victoire au classement général du Mans, et parachève la légende de la GT1. Toyota, malgré la vitesse de sa GT-One, doit se contenter de la deuxième marche du podium.
Une légende parmi les hypercars
La Porsche 911 GT1 occupe une place à part dans l’histoire de la marque. Rare – 23 exemplaires routiers en tout – et d’une valeur inestimable aujourd’hui, elle représente l’un des premiers véritables hypercars homologués. Bien avant la Bugatti Veyron, bien avant la Ferrari Enzo, elle a posé les bases de ce que deviendrait la supercar du XXIe siècle : une machine de course civilisée, construite avant tout pour la piste, mais tolérée sur la route.
Pour les collectionneurs, elle reste un joyau quasi inaccessible, à la fois par sa rareté et par la fragilité inhérente à son concept. Les coûts d’entretien ou de réparation sont vertigineux, mais peu importe : posséder une GT1, c’est surtout détenir un morceau de l’ADN de Porsche.
La Porsche 911 GT1 incarne une époque où les règlements imposaient aux constructeurs d’ancrer leurs prototypes dans la réalité. Elle est l’héritière directe d’une tradition Porsche qui remonte à la 917 et à la 935, tout en annonçant l’ère des hypercars modernes. Aujourd’hui, elle reste l’un des modèles les plus fascinants de l’histoire de Zuffenhausen : une 911 qui n’en était plus vraiment une, mais qui a écrit l’une des plus belles pages du Mans.