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  • Jean Alesi, retour à Paul Ricard : l’émotion d’un premier rêve

    Jean Alesi, retour à Paul Ricard : l’émotion d’un premier rêve

    9 juillet 1989. Un soleil de plomb écrase le bitume de Paul Ricard. À l’ombre des pins parasols, une monoplace bleue détonne dans le paddock. La Tyrrell 018, austère mais racée, s’apprête à révéler au monde un jeune pilote franco-sicilien venu de la F3000 : Jean Alesi. Ce jour-là, tout change. Pour lui. Pour l’équipe Tyrrell. Pour une génération de tifosi en devenir.

    2025. Le temps a passé. Mais sur ce même asphalte, le frisson reste intact. Jean Alesi retrouve « sa » Tyrrell 018/2, restaurée avec soin par Speedmasters, pour un tour de piste chargé d’émotion à l’occasion du Grand Prix de France Historique. « Cette voiture, c’est mon rêve d’enfant devenu réalité. Elle a changé ma vie. »

    Un conte de fées signé « Oncle Ken »

    Ken Tyrrell n’avait pas pour habitude de faire des paris fous. Mais en ce milieu d’année 1989, contraint de remplacer Michele Alboreto – débarqué pour cause de mésentente sponsorisée –, il mise sur un trublion à la bouille d’acteur et au coup de volant prometteur : Jean Alesi, révélation du championnat de F3000 avec Eddie Jordan. Un coup de poker ? Oui. Mais gagnant.

    Qualifié en 16e position après une séance gâchée par le trafic, Alesi profite d’un carambolage au départ pour se frayer un chemin dans le peloton. Devant un public en délire, il s’offre même le luxe de mener brièvement la course derrière Prost, avant de terminer 4e pour sa première apparition en F1. Rarement un débutant aura laissé une telle impression.

    « Je ne pensais qu’à ça : courir en F1. Après Ricard, j’ai dit à Eddie : “Merci pour tout, je me consacre à 100 % à la F1.” Il était furieux ! Finalement, j’ai quand même gagné la F3000 un peu plus tard… Un beau cadeau pour lui. »

    Une machine née à Maranello, élevée à Ockham

    La Tyrrell 018, c’est aussi l’histoire d’un renouveau. En coulisses, l’équipe anglaise sort d’une période morose. Le V6 turbo Renault n’a pas convaincu, les résultats stagnent, la philosophie du bois et des clous touche ses limites.

    L’arrivée du tandem Harvey Postlethwaite – Jean-Claude Migeot, en provenance de Ferrari, va tout changer. Ensemble, ils conçoivent une F1 légère, élancée, pleine de promesses pour l’ère du 3.5 litres atmosphérique. Le moteur Cosworth DFR fait figure de solution sage, mais c’est surtout l’aérodynamique qui intrigue : nez fin, airbox haut perché et une suspension avant audacieuse à mono-amortisseur, innovation conçue pour maximiser l’efficacité sur l’entrée de virage.

    « La 018 aurait pu être une Ferrari rouge », confie Migeot. « C’était notre plan à Maranello. On l’a réalisé chez Tyrrell, dans un Portakabin en bois, avec une énergie folle. »

    Une voiture faite pour Alesi

    Curieusement, cette architecture avant très directe, nerveuse, avait mis en difficulté Alboreto, mal à l’aise avec la réactivité du châssis. Pour Alesi, au contraire, c’était un terrain de jeu idéal. Son style d’attaque, incisif, faisait merveille avec cette voiture qui « rentrait dans les virages comme un kart ».

    « C’était unique », dit-il. « Si tu avais le cran de rentrer fort, tu étais rapide. Exactement mon style. Je n’aurais pas pu rêver mieux. »

    Même Migeot s’émerveille encore du destin de cette voiture taillée sur mesure : « Jean a masqué tous les défauts de la voiture avec son talent. On ne s’est rendu compte qu’à Spa, sous la pluie, qu’on pouvait la rendre bien plus facile à piloter. Il suffisait d’ajouter un anneau en caoutchouc dans la suspension avant pour débloquer un potentiel qu’on n’exploitait pas. »

    Une pièce d’histoire remise en lumière

    Aujourd’hui, le châssis 018/2 a retrouvé ses couleurs d’époque. Le bleu Tyrrell, l’aileron jaune Camel, les lignes pures dessinées par le vent et la conviction de deux ingénieurs brillants. Grâce à l’équipe de James Hanson, la monoplace du miracle de Ricard roule de nouveau – non plus pour un classement, mais pour la mémoire.

    Et Jean Alesi, 60 ans passés, redevient ce jeune homme de 25 ans qui croyait en ses rêves. Sur le circuit du Castellet, il enchaîne quelques tours, les yeux brillants.

    « Je n’avais qu’un seul regret : ils ont mis un afficheur numérique avec des shift lights. On n’avait pas ça avec Oncle Ken ! »

    Tyrrell 018, dernière élégance d’un monde qui changeait

    La 018 fut la dernière Tyrrell à vraiment briller avant l’ombre. Elle redonna espoir à une équipe mythique, redessina les lignes de la F1 d’après-turbo, posa les bases de la révolution 019 et son nez relevé. Et elle révéla Jean Alesi au monde, à la France, à Ferrari.

    Le 9 juillet n’est pas un jour comme les autres. C’est celui où un rêve a pris vie dans le sillage d’une voiture singulière, conduite par un pilote pas comme les autres.

  • Ça ne marchera jamais

    Ça ne marchera jamais

    J’ai récemment retrouvé mes amis de chez Nissan pour essayer la Pulsar GT. De bon matin, la discussion a dérivé vers l’engagement de la marque aux 24 Heures du Mans… À l’heure du café/croissants, je voulais parler de l’aspect marketing de l’opération. Mais tout a très vite dérivé sur le pur résultat sportif.

    Je reviendrai très vite sur l’extraordinaire prestation de communication réalisée durant la course sarthoise, car elle m’a vraiment marqué. Pour en revenir à nos discussions « compétition », je ne donne aucune chance au concept présenté par Nissan (mais ce n’est pas la première fois que je me tromperais, dit celui qui assurait – en 2001 – que François Duval serait Champion du Monde des Rallyes).

    Pour gagner en Championnat du Monde, quel que soit la discipline, il faut produire la meilleure voiture selon un règlement donné. J’ai le sentiment que Nissan a adapté son idée d’innovation à tout prix à un règlement.

    Évidemment ça ne marchera jamais. Sauf que l’on m’a cité deux exemples pour contrer mes velléités anti-innovation : la Tyrrell P34 et la Renault RS01.

    Une F1 à 6 roues !

    Derek Gardner, directeur technique de Tyrrell F1, cherchait une solution pour maximiser le contact au sol des roues. En 1975, il remplace les deux roues avant de 13 pouces par quatre roues de 10 pouces. Sur le papier, les avantages sont nombreux : davantage de contact, quatre roues directrices et moins de perturbations aérodynamiques.

    Le concept est validé et aligné en compétition lors du Grand Prix d’Espagne 1976 pour Patrick Depailler. Sur piste, la Tyrrell P34 est une machine à sous-virer. Mais dès sa première apparition, elle se place sur la deuxième ligne de la grille de départ. À Monaco, Depailler et Jody Scheckter, un futur Champion du Monde, sont sur le podium. En Suède : doublé !

    Pourtant, Tyrrell ne parvient pas à faire progresser sa monoplace. Manque de finesse aéro, fiabilité du système de freinage des roues avant… Depailler et Scheckter placent l’écurie au troisième rang du championnat et le Sud-Africain claque la porte en clamant que ces six roues sont une voie sans issue.

    En 1977, la P34 évolue. Plus aérodynamique, elle se heurte pourtant à des problèmes dans l’équipe. Goodyear lâche le projet et son concepteur quitte le sport automobile. Après une sixième place au championnat, Tyrrell développe la 008 (à quatre roues) pour 1978 (4e du Championnat avec une victoire à Monaco).

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    The Yellow Tea Pot

    Les Anglais sont vraiment nos meilleurs amis. Lorsque Renault entame la révolution (française) turbocompressée, les journalistes britanniques s’amusent de ce qu’ils appellent la Yellow Tea Pot pour sa propension à produire de la fumée blanche, tandis que les ingénieurs cherchent à comprendre les techniques utilisées dans ce 1,5 litre turbo, pour finalement les copier.

    En 1977, Renault est le premier constructeur généraliste à vouloir s’engager, en son nom, en Championnat du Monde de F1. Sa première apparition se fait au Grand Prix de Grande-Bretagne. L’accueil est exceptionnel, à tel point que l’écurie est dispensée de pré-qualifications. 21e sur la grille de départ, Jean-Pierre Jabouille est déjà au septième rang après 12 tours… Et il abandonne, problème de turbo (!). Plus d’un an après, la RS01 marque enfin ses premiers points.

    Deux ans après, la nouvelle RS10 signe un premier succès… Mais en 1982, le premier constructeur à remporter le titre mondial avec un V6 turbo est Ferrari !

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    Nissan a peut-être inventé le concept du futur en alignant une trac’avant au même poids que des quatre roues motrices. Si cette idée a le moindre avenir, elle sera très rapidement copiée, pas forcément en 2016, mais certainement en 2017. Dans le cas contraire, elle nous servira juste à briller auprès des futures générations : « J’étais au Mans lorsque Nissan a tenté de gagner avec une traction avant ! »