Auteur/autrice : Rédaction

  • L’Europe a tué la petite voiture qu’elle avait inventée

    L’Europe a tué la petite voiture qu’elle avait inventée

    Pendant plus d’un demi-siècle, l’automobile européenne a brillé par sa capacité à produire des voitures petites, ingénieuses et adaptées à un continent dense, urbain et sinueux. Fiat 500, Renault 4, Citroën 2CV, Mini, Peugeot 205, Lancia Ypsilon : autant de best-sellers qui ont incarné une vision populaire de l’automobile, économe en espace, en ressources et en énergie. Aujourd’hui, cette espèce est en voie d’extinction. Et ce sont les Européens eux-mêmes qui l’ont décimée.

    La fin de la citadine thermique

    Dans les gammes actuelles des constructeurs européens, les citadines thermiques ont quasiment disparu. Plus de Peugeot 108, plus de Citroën C1, plus de Ford Ka, plus d’Opel Adam. Même la Volkswagen up!, pourtant plébiscitée pour sa compacité, a quitté les chaînes. Les dernières survivantes s’appellent Fiat Panda ou Hyundai i10, et leur avenir est tout sauf assuré.

    La fin de ces modèles n’est pas une décision purement industrielle. Elle est la conséquence directe d’un empilement de réglementations environnementales et sécuritaires qui rendent la production de petites voitures thermiques économiquement intenable. Des normes d’émissions plus strictes (WLTP, Euro 6d), des équipements de sécurité obligatoires toujours plus nombreux (freinage autonome, maintien de voie, capteurs, caméras, etc.), et une pression constante sur les constructeurs pour électrifier leurs gammes ont conduit à un paradoxe : il est devenu moins coûteux de vendre un SUV de 2 tonnes qu’une citadine d’une tonne à bas prix.

    Le non-sens environnemental

    L’ironie est cruelle. À l’heure où la neutralité carbone est érigée en absolu politique, l’Europe a tué ses voitures les plus sobres. De la conception à la fin de vie, une petite voiture essence reste aujourd’hui l’un des moyens de transport les plus efficaces énergétiquement. Faible masse, petite batterie (quand elle est électrifiée), consommation réduite : leur empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie est souvent inférieure à celle d’un SUV électrique lourd et surdimensionné.

    Mais les réglementations européennes, obsédées par les émissions au pot d’échappement, ignorent cette réalité. Elles favorisent artificiellement les véhicules zéro émission en usage, au détriment d’une évaluation globale. Comme l’ex-PDG de Polestar Thomas Ingenlath l’a régulièrement souligné, l’absence de cadre contraignant sur les émissions du cycle de vie (ACV) biaise profondément la transition écologique du secteur.

    Quand l’Europe oublie ses propres villes

    La question n’est pas seulement technique ou environnementale. Elle est aussi urbaine et culturelle. Comme le rappelait Luca de Meo, ex-apprenti de vente à la découpe de Renault, lors du récent Future of the Car Summit du Financial Times, les rues médiévales de Sienne, Salamanque ou Heidelberg n’ont pas grandi en 20 ans. Et les garages européens n’ont pas gagné de mètres carrés. Pourtant, les voitures ont, elles, largement pris du volume.

    Dans leur course à la mondialisation, les constructeurs européens ont conçu des modèles pensés pour les grands axes américains ou les mégalopoles chinoises, oubliant au passage les réalités locales. La proportion de véhicules de moins de 4 mètres produits par l’industrie européenne est passée de 50 % dans les années 1980 à moins de 5 % aujourd’hui. Un effondrement.

    Face à cette désertion, les consommateurs européens ne sont pas restés passifs. Ils ont progressivement basculé vers les petites japonaises, coréennes et, désormais, chinoises. Des voitures mieux adaptées à leur quotidien, là où l’offre locale s’est évaporée.

    Vers une renaissance ?

    Tout n’est pas perdu. Les constructeurs européens rêvent de voir les contraintes s’assouplir pour donner naissance à des kei-cars du Vieux Continents.

    Mais les conditions de rentabilité d’une petite voiture électrique sont étroites. Et la pression concurrentielle est intense, notamment face aux constructeurs chinois capables de proposer une citadine électrique comme la BYD Seagull à un prix défiant toute concurrence (environ 10 000 € en Chine).

    Repenser les règles du jeu

    Pour que la petite voiture survive — et prospère — en Europe, il ne suffira pas d’en faire une priorité industrielle. Il faudra repenser les règles. Cela peut passer par une fiscalité fondée sur la masse plutôt que sur la motorisation. Par un soutien à la fabrication locale de petites batteries. Par une réglementation qui privilégie la sobriété réelle plutôt que l’abstraction du zéro émission en usage.

    C’est aussi une question d’aménagement du territoire, de sécurité (primaire, pas seulement secondaire), de justice sociale et d’équité entre usagers de la route. Récompenser la compacité, la légèreté, la faible consommation, c’est non seulement favoriser l’innovation automobile, mais aussi rendre les villes plus respirables et les routes plus sûres.

    L’Europe a longtemps été la terre d’élection de la petite voiture. Elle en a fait un art, une industrie, une culture. Il est temps qu’elle s’en souvienne.

  • Vers un retour des monospaces ? Gilles Vidal relance le débat

    Vers un retour des monospaces ? Gilles Vidal relance le débat

    Alors que le marché européen semble figé dans son obsession pour les SUV, une voix respectée du design automobile ose poser une question iconoclaste : et si le monospace faisait son grand retour ? C’est en tout cas ce que suggérait Gilles Vidal, alors encore à la tête du design de Renault, dans une interview accordée à Autocar à la mi-juillet. Depuis, l’actualité l’a rattrapé : le 24 juillet, Stellantis annonçait officiellement sa nomination à la direction du design des marques européennes du groupe, marquant ainsi un tournant dans sa carrière… et peut-être dans la vision du design automobile européen.

    Une figure du design en transition

    Gilles Vidal n’est pas un inconnu dans le paysage automobile français. Après avoir impulsé une profonde modernisation du style chez Peugeot – pensons aux lignes acérées des 3008, 508 ou encore 208 – il avait rejoint Renault en 2020 pour renouveler le langage formel de la marque. Son retour chez Stellantis, où il supervisera les marques européennes, dont Peugeot, Opel, Fiat ou Lancia, pourrait bouleverser l’équilibre des influences esthétiques à l’échelle du groupe franco-italo-américain.

    Mais avant ce passage de témoin, Vidal livrait une réflexion étonnamment libre sur les tendances du marché : « Les SUV ont gagné la bataille contre les monospaces parce que les monospaces sont des voitures que l’on a besoin d’avoir, mais que l’on n’a pas envie de posséder », analysait-il. « Les SUV, avec les mêmes moteurs, les mêmes masses, les mêmes composants, sont devenus des objets de désir. »

    Le SUV face à ses limites

    Depuis leur émergence en force à la fin des années 2000, les SUV ont totalement cannibalisé le segment des familiales en Europe. Des modèles autrefois omniprésents comme les Renault Scénic, Citroën Picasso, Ford Galaxy ou Opel Zafira ont disparu ou se sont eux-mêmes convertis en SUV. Mais le vent pourrait tourner, selon Vidal : « Il y a aujourd’hui une sorte de SUV-bashing, en particulier en Europe. »

    La transition vers l’électrique remet en cause plusieurs certitudes. Le style imposant des SUV, bien qu’attrayant, n’est pas nécessairement compatible avec la quête d’efficience énergétique imposée par l’électromobilité. L’aérodynamisme, la masse, l’encombrement : autant de contraintes à revisiter.

    C’est ici que le concept du monospace pourrait redevenir pertinent. L’architecture dite « skateboard » des plateformes électriques libère de nouveaux volumes habitables et permet de réinventer l’organisation intérieure. Vidal y voit un levier pour imaginer des véhicules à la fois spacieux, rationnels et… désirable : « Peut-être que les monospaces pourraient revenir sous une forme plus sexy, plus attirante. »

    La Chine, laboratoire d’idées

    Alors que l’Europe semble encore hésitante, la Chine donne un coup d’avance au renouveau du monospace. Sur ce marché à la croissance effervescente, les modèles familiaux à trois rangées de sièges ont la cote. Des marques comme Zeekr, Li Auto, Xpeng, Lynk&Co ou Denza (filiale de BYD) ont lancé des véhicules luxueux et expressifs, qui redonnent au monospace un rôle d’avant-garde. Ces voitures, souvent électriques, intègrent des technologies de pointe, des intérieurs soignés et une approche presque statutaire du transport familial.

    Ce regain d’intérêt pourrait inspirer les constructeurs européens, à commencer par Renault, qui a récemment transformé son emblématique Espace en SUV… mais conserve dans son ADN cette histoire forte avec les véhicules familiaux. Le concept Scenic Vision présenté en 2022 explorait déjà une nouvelle voie, plus efficiente et responsable, sans verser dans les excès esthétiques.

    Quel avenir chez Stellantis ?

    Avec son arrivée à la tête du design européen de Stellantis, Gilles Vidal pourra désormais appliquer sa vision à un spectre bien plus large. Opel, Fiat ou encore Lancia pourraient profiter de cette volonté de s’émanciper du diktat SUV. Chez Fiat, la Panda de demain pourrait réinterpréter le thème du petit monospace urbain, tandis que Lancia, en pleine renaissance, pourrait renouer avec une élégance rationnelle, propre à séduire une clientèle lasse des silhouettes hypertrophiées.

    Le retour du monospace ne se fera pas du jour au lendemain. Il ne s’agira pas de rééditer les recettes du passé, mais bien d’imaginer des formes nouvelles, cohérentes avec les usages contemporains et l’architecture électrique. C’est précisément là que le talent des designers entre en jeu.

  • Nuvolari au Nürburgring : l’exploit italien qui fit plier le Reich

    Nuvolari au Nürburgring : l’exploit italien qui fit plier le Reich

    90 ans après la plus incroyable victoire d’Alfa Romeo face aux puissances allemandes, cet article rend hommage à un moment de légende du sport automobile : un triomphe technique et humain, sur fond de tension politique et de domination technologique allemande. Le 28 juillet 1935, au Nürburgring, Tazio Nuvolari prouve que la bravoure et le talent peuvent renverser l’ordre établi.

    Le 28 juillet 1935, le Nürburgring n’est pas seulement le théâtre d’un Grand Prix. C’est une arène géopolitique, une vitrine technologique, un affrontement idéologique. L’Allemagne nazie entend imposer sa suprématie à travers ses machines, ses pilotes, son organisation. Mercedes-Benz et Auto Union, soutenues à bout de bras par le régime, alignent des bolides argentés futuristes, forts d’innovations comme le moteur arrière chez Auto Union — une solution qui ne s’imposera en Formule 1 que deux décennies plus tard.

    Face à elles, une équipe italienne jugée dépassée, la Scuderia Ferrari, alors simple structure satellite d’Alfa Romeo, venue avec des Alfa P3 âgées, simplement mises à jour. Des machines rouges, dépassées en tout point… sauf dans les mains d’un homme.

    Tazio Nuvolari a 42 ans. Son corps a connu la guerre, les blessures, les souffrances mécaniques des années 1920. Mais ce 28 juillet, « Nivola » entre dans la légende.

    David contre trois Goliaths argentés

    Sur la grille, la bataille semble perdue d’avance. Les spectateurs allemands — plus de 200 000 — s’attendent à un podium 100 % national. Les Auto Union de Stuck, Rosemeyer et Varzi, les Mercedes de von Brauchitsch, Caracciola et Fagioli, semblent inaccessibles. Le contraste est saisissant dans les stands : carrosseries profilées contre caisses traditionnelles, structures d’État contre artisanat d’élite.

    La course est un calvaire : 500 kilomètres sur la Nordschleife, soit plus de 4 heures d’effort sur ce ruban de 22,8 kilomètres, aussi tortueux que meurtrier. Une épreuve d’endurance autant que de vitesse.

    Dès les premiers tours, les forces en présence se dégagent : Balestrero et Brivio abandonnent, puis Chiron. Seule l’Alfa de Nuvolari reste en lice. Il est seul contre les Allemands.

    Et il attaque.

    Un rythme infernal, un homme transcendé

    Varzi heurte un mécanicien au départ. Rosemeyer sort de la piste. Von Brauchitsch, Caracciola et Rosemeyer imposent un rythme de métronome, tandis que Nuvolari hausse progressivement le ton : 10’57” au tour, puis 10’45”, jusqu’à 10’32” pour signer le meilleur chrono de la course, à près de 130 km/h de moyenne sur cette piste d’un autre temps.

    Lors des ravitaillements au 12e tour, les trois Mercedes repartent avant l’Italien. Mais les pneus de von Brauchitsch se dégradent. Le pilote Mercedes tente de contrôler l’écart, mais Tazio revient, tour après tour. Il reprend jusqu’à 16 secondes par boucle.

    Alfred Neubauer, le célèbre patron de Mercedes, panique. Il multiplie les signaux à son pilote. Rien n’y fait. Nuvolari grignote l’écart, second après second.

    Le dernier tour de la légende

    À l’entame du dernier tour, von Brauchitsch compte encore 30 secondes d’avance. Mais son pneu arrière cède. À neuf kilomètres de l’arrivée, au niveau du Karussell, les commissaires voient passer… Nuvolari. Le silence s’installe dans les tribunes. Puis la clameur explose.

    L’Italien franchit la ligne le poing levé, sous les yeux incrédules d’un public médusé.

    Une victoire impensable. Dérangeante. Une Alfa Romeo rouge dans l’antre du national-socialisme. Un héros moustachu de 42 ans, au volant d’une machine d’un autre temps, qui vient de défier la logique industrielle, les pronostics politiques et la toute-puissance technologique du Reich.

    Une défaite intolérable… un mythe éternel

    Il faudra du temps aux autorités allemandes pour digérer l’affront. Certains prétendront qu’Hitler en personne aurait refusé de remettre la coupe. Nuvolari, dit-on, sortira un petit drapeau italien de sa poche pour le brandir seul sur le podium. D’autres parlent d’un trophée expédié par la poste.

    Les détails comptent peu face à la portée symbolique du geste. Cette victoire est sans doute la plus éclatante de l’histoire d’Alfa Romeo. Elle ancre le nom de Nuvolari dans la légende, comme celui d’un pilote capable de transcender la mécanique, les conditions, et même l’époque.

  • Opel Mokka GSE : aussi une version musclée

    Opel Mokka GSE : aussi une version musclée

    Le Mokka électrique produite en région parisienne va recevoir une nouvelle impulsion avec l’arrivée de la version GSE, une variante hautes performances qui renoue avec l’héritage des VXR et GSi. Cette fois, Opel n’en reste pas à une simple déclinaison de finition. Il s’agit de la première GSe 100 % électrique dotée d’un véritable travail technique sur le châssis et la mécanique, repris des Alfa Romeo Junior Veloce et Lancia Ypsilon HF déjà testées.

    Déjà apposé sur l’Astra et le précédent Grandland, le label GSE (pour Grand Sport Electric) n’avait jusqu’ici de « sport » que le nom. Il s’agissait avant tout d’une appellation flatteuse pour désigner les versions les mieux équipées. Le Mokka GSE change la donne. Il affiche des performances en nette hausse, avec un moteur électrique de 280 ch et 345 Nm. Cette cavalerie est transmise aux seules roues avant via un différentiel mécanique à glissement limité, un choix technique rare sur une traction électrique.

    Une fiche technique ambitieuse

    Sous le plancher, on retrouve la batterie de 54 kWh déjà connue dans la gamme, mais adaptée pour encaisser la puissance supérieure du moteur. Elle autorise une recharge rapide jusqu’à 100 kW en courant continu, une valeur standard au sein du groupe Stellantis.

    Avec ce gain de puissance, le Mokka GSE revendique un 0 à 100 km/h en 5,9 secondes, soit 3,1 secondes de mieux que le Mokka Electrique actuel. C’est aussi proche de ce que propose l’Alfa Romeo Junior Veloce, avec lequel il partage nombre d’éléments, y compris les trains roulants.

    Opel annonce un travail approfondi sur le châssis. L’essieu avant et les moyeux de roues ont été redessinés pour accueillir le différentiel, tandis que le système de freinage passe à la dimension supérieure. À l’avant, on trouve désormais des disques de 380 mm pincés par des étriers Alcon à quatre pistons, peints en jaune pour souligner le caractère sportif de la version.

    La direction a été recalibrée, tout comme la suspension, raffermie sur les deux essieux. Le Mokka GSE conserve toutefois une architecture d’essieu arrière semi-rigide (essieu de torsion), comme le reste de la gamme. Les jantes de 20 pouces chaussées de pneumatiques Michelin Pilot Sport EV viennent parachever la panoplie dynamique.

    Un style affirmé mais sans excès

    Esthétiquement, Opel joue la carte du sport sans tomber dans la caricature. Le Mokka GSe reçoit un nouveau bouclier avant avec une lame noire contrastante, un traitement assombri à l’arrière et une garde au sol réduite, bien visible avec les grandes roues. Pas de béquet exubérant ni de diffuseur ostentatoire : la sportivité reste contenue dans les limites du bon goût.

    À bord, les sièges intègrent des inserts en Alcantara et des surpiqûres vertes spécifiques. Le volant reçoit un méplat en haut et en bas, une touche esthétique plutôt que réellement fonctionnelle. Le combiné d’instrumentation numérique reste identique à celui des autres versions, mais il gagne de nouveaux affichages dédiés à la performance : puissance instantanée, température de batterie, gestion du couple.

    Une réponse européenne aux attentes urbaines ?

    En termes d’autonomie, Opel n’a pas encore livré de chiffre officiel, mais il faut s’attendre à une valeur autour de 320 km, soit une cinquantaine de kilomètres de moins que le Mokka Electric standard. Une conséquence directe de l’augmentation de puissance, des pneus plus larges et d’un calibrage davantage orienté vers la performance.

    Cette déclinaison GSE illustre l’ambition d’Opel de se repositionner dans un segment qu’il avait autrefois dominé avec ses Corsa GSi, Kadett GSi et Astra OPC. Mais contrairement à ces dernières, cette GSE est entièrement électrique, fidèle à la nouvelle feuille de route du constructeur allemand.

    Le Mokka GSE partage ses entrailles techniques avec l’Alfa Romeo Junior Veloce et la Lancia Ypsilon HF, autres interprétations sportives de la plateforme eCMP dans sa configuration haute puissance. Cette multiplication de variantes sportives électriques pourrait bien contribuer à réconcilier les amateurs de conduite avec un avenir sans essence.

  • La fin de la voiture mondiale

    La fin de la voiture mondiale

    Pendant plusieurs décennies, l’industrie automobile a couru après un idéal : celui de la voiture mondiale. Un même modèle, vendu sur tous les marchés, avec des composants standardisés et des plateformes communes, produit de manière interchangeable d’un continent à l’autre. Cette vision, portée notamment par les constructeurs japonais dans les années 1980 puis par les groupes mondiaux tels que General Motors, Volkswagen ou Toyota, promettait des économies d’échelle, une meilleure rentabilité et une rationalisation logistique. Aujourd’hui, cet idéal semble avoir vécu.

    Une mondialisation à bout de souffle

    La voiture mondiale, c’est la Toyota Corolla assemblée dans vingt pays différents, la Ford Focus qui fut un temps identique aux États-Unis et en Europe, ou encore la Volkswagen Golf conçue pour satisfaire à la fois les clients allemands, chinois et brésiliens. Dans les années 1990 et 2000, les plateformes globales ont permis aux groupes automobiles de maximiser leur présence sur les marchés en simplifiant les développements techniques et en optimisant les usines. Mais cette approche s’est progressivement heurtée à des réalités plus complexes.

    D’un côté, les clients ont continué d’exprimer des préférences locales : un conducteur chinois ne veut pas nécessairement le même habitacle qu’un Européen, et un pick-up américain ne se conçoit pas sur les standards d’un utilitaire japonais. De l’autre, les réglementations se sont durcies et différenciées, en particulier en matière d’émissions, de sécurité et d’équipement technologique.

    La revanche du local

    Les crises récentes ont accéléré une prise de conscience. La pandémie de COVID-19, les tensions sino-américaines, la guerre en Ukraine, la montée des tarifs douaniers et les fragilités des chaînes d’approvisionnement ont mis à mal la logique de production dispersée. À cela s’ajoutent des incitations fiscales très localisées, à l’image de l’Inflation Reduction Act américain qui subventionne généreusement la production d’électriques sur le sol des États-Unis.

    Les constructeurs ont donc changé d’approche. Ils cherchent désormais à produire au plus près de leurs marchés, à relocaliser certaines fonctions industrielles, et à adapter leur offre en fonction des spécificités régionales. Volvo assemble des XC60 en Suède pour l’Europe et en Chine pour l’Asie. Volkswagen travaille avec Xpeng pour concevoir des voitures destinées uniquement au marché chinois. Stellantis développe des modèles spécifiques pour l’Amérique du Sud. Et Ford a définitivement tourné la page des petites voitures en Europe pour se recentrer sur une offre plus ciblée.

    Une logique économique, mais aussi stratégique

    Produire localement, ce n’est pas seulement une réponse à la géopolitique ou aux incitations fiscales. C’est aussi une façon de mieux répondre aux attentes des clients. En Chine, par exemple, l’appétence pour les écrans géants, les assistants vocaux et les mises à jour à distance impose une électronique embarquée différente de celle qu’on retrouve dans une Peugeot européenne ou une Dodge mexicaine.

    La montée en puissance des véhicules électriques renforce ce besoin d’adaptation. Les réseaux de recharge, les comportements d’usage, les types de trajets et les politiques d’aide varient considérablement d’un pays à l’autre. Une compacte à batterie de 40 kWh peut être pertinente en Italie, mais inutile dans les grandes plaines américaines.

    Le retour des « régions automobiles »

    Il faut aussi noter que cette tendance remet à l’honneur des zones historiques de production. Le Sud des États-Unis, autrefois marginal dans l’industrie, est devenu un nouveau cœur industriel avec Tesla au Texas, Volkswagen au Tennessee, BMW en Caroline du Sud et Hyundai en Géorgie. L’Europe réinvestit la Slovaquie, la Pologne et l’Espagne, tandis que la Chine pousse à une production nationale encore plus intégrée.

    Cette régionalisation n’annonce pas nécessairement la fin des groupes mondiaux, mais elle pousse à une organisation plus polycentrique. Chaque grande région — Amérique du Nord, Europe, Chine, Asie du Sud-Est — tend à devenir autonome en conception, production et distribution.

    La voiture mondiale est-elle morte ?

    Pas tout à fait. Certains véhicules continueront à jouer un rôle global, à l’image de la Toyota Yaris Cross, produite au Japon, en France et au Brésil, le nouveau Jeep Compass qui sera produit en Italie et aux Etats-Unis, ou des modèles haut de gamme comme les Porsche ou les Rolls-Royce qui gardent un prestige transnational. Mais ils ne représentent plus la norme.

    Ce n’est plus l’uniformité qui guide l’industrie, mais l’agilité. Adapter ses produits, ses sites et ses stratégies à la réalité du terrain. L’époque où une Citroën C-Elysée ou une Chevrolet Aveo pouvait prétendre à séduire à la fois des conducteurs de Wuhan, de Varsovie et de Montevideo semble révolue.

    Le retour à une logique régionale signe donc une rupture. Après des années de quête d’un modèle unique pour tous, l’industrie automobile redécouvre l’intérêt de la diversité. Une diversité qui, à défaut de simplifier les opérations, ouvre peut-être la voie à une meilleure compréhension des besoins des automobilistes. Ce qui, après tout, reste l’essence même du métier.

  • Nick Mason, la batterie dans le sang, l’huile dans les veines

    Nick Mason, la batterie dans le sang, l’huile dans les veines

    On le connaît comme le discret batteur de Pink Floyd. Mais Nick Mason est bien plus qu’un simple musicien de l’ombre. Depuis plus d’un demi-siècle, il conjugue deux passions avec une intensité rare : la musique psychédélique et la mécanique de compétition. À 80 ans passés, l’homme possède sans doute l’un des plus beaux garages privés d’Angleterre, où les Ferrari d’avant-guerre croisent des prototypes du Mans. Une collection à son image : exigeante, élégante et pétrie d’histoire.

    Un gentleman driver né à Birmingham

    Fils d’un réalisateur de documentaires automobiles — Bill Mason, caméraman régulier du RAC Tourist Trophy et du Grand Prix de Monaco dans les années 50 — Nick Mason baigne très jeune dans l’univers des circuits. Son père filme des épreuves, fréquente l’Auto Union de Neubauer et collectionne déjà des images de Type 35 ou de Bentley Blower à une époque où ces voitures ne sont pas encore considérées comme des trésors.

    Cette influence paternelle le marque à vie. Lorsque Mason fonde Pink Floyd avec Roger Waters et Syd Barrett à Londres au milieu des sixties, l’automobile n’est jamais bien loin. L’argent du succès ne tarde pas à tomber, et c’est vers Maranello que se tourne le premier gros achat du jeune batteur : une Ferrari 275 GTB. Elle deviendra la première d’une longue série.

    Une Ferrari 250 GTO dans le garage

    Nick Mason n’est pas un spéculateur, ni un conservateur de musée. C’est un pilote amateur au sens noble du terme. Il aime rouler. Fort. Il aime comprendre les mécaniques, sentir le mouvement des fluides, dompter les caprices des carburateurs. Il aime aussi partager.

    Au cœur de sa collection — qui regroupe une trentaine d’autos de compétition, toutes en état de marche — trône un joyau absolu : une Ferrari 250 GTO. Châssis n°3757GT. L’un des 36 exemplaires produits entre 1962 et 1964. Mason l’a achetée en 1977 pour 37 000 livres sterling, une somme déjà rondelette à l’époque mais qui ferait sourire aujourd’hui, tant la cote des GTO s’est envolée. Celle de Mason est estimée à plus de 50 millions d’euros. Elle est rouge, d’origine. Il l’a engagée à Goodwood, au Tour Auto, et même dans des courses historiques au Japon.

    Mais l’homme n’est pas dogmatique. Dans son garage, on trouve aussi une Bugatti Type 35B, une Maserati 250F, une McLaren F1 GTR à la livrée Gulf, ou encore une BRM V16, monstre sonore qu’il aime faire hurler devant des foules médusées.

    L’essence d’un style

    Ce qui distingue Nick Mason des autres collectionneurs, c’est sa fidélité à une certaine idée du style. Pas seulement esthétique, mais philosophique. Il entretient ses voitures, les fait rouler, les prête parfois. Il a monté sa propre structure, Ten Tenths (en référence à l’expression anglaise « to drive at ten-tenths », soit à 100 % de ses capacités), pour gérer et préparer ses autos. Il a aussi été fidèle pendant longtemps au même mécanicien, Neil Twyman, artisan londonien de la restauration haut de gamme.

    Sa passion ne s’est jamais limitée à l’Italie. Lorsqu’il parle de la Bentley Speed Six ou de l’Aston Martin Ulster, ses yeux brillent autant que lorsqu’il évoque sa Porsche 962. Il admire le génie des ingénieurs d’avant-guerre comme la brutalité raffinée des prototypes des années 80.

    Et surtout, Mason ne sépare jamais totalement sa passion automobile de son univers musical. Sa Ferrari 512 S a même servi dans le film Le Mans avec Steve McQueen. Le lien est organique.

    Le Mans, Silverstone et autres plaisirs

    Nick Mason n’a jamais visé la gloire en compétition, mais il a couru. Beaucoup. En endurance, essentiellement. Il a participé cinq fois aux 24 Heures du Mans entre 1979 et 1984, avec des Lola ou des Rondeau, toujours dans des équipes privées. Son meilleur résultat reste une 18e place au général, mais là n’était pas l’essentiel. Il voulait vivre l’expérience de l’intérieur, sentir le circuit au cœur de la nuit, dans les Hunaudières à fond, avec un V8 derrière l’épaule.

    Outre Le Mans, Mason s’est aligné à Silverstone, Brands Hatch, Spa, ou Daytona. Il est aussi l’un des fidèles du Goodwood Revival et du Festival of Speed, où il se plaît à monter dans ses autos pour des démonstrations plus ou moins sages, toujours élégantes.

    Un ambassadeur bienveillant

    En 2018, Nick Mason a franchi un nouveau pas dans le partage de sa passion en créant un groupe de rock revisitant les classiques de Pink Floyd, intitulé « Nick Mason’s Saucerful of Secrets ». Ce projet parallèle lui a permis de remonter sur scène tout en poursuivant ses activités automobiles.

    Il reste très présent dans la communauté des collectionneurs et pilotes historiques, intervenant dans des documentaires (notamment pour la BBC ou Channel 4), écrivant la préface de nombreux ouvrages ou apparaissant dans les paddocks avec un sourire franc et discret.

    Son livre Into the Red, publié en 1998 et réédité plusieurs fois depuis, est une déclaration d’amour aux voitures anciennes, coécrit avec Mark Hales. On y découvre l’histoire de chaque voiture de sa collection, mais aussi des impressions de conduite sincères, personnelles, sans fioritures.

    Un art de vivre britannique

    Nick Mason incarne une forme d’aristocratie informelle et bienveillante de l’automobile ancienne. Il n’est ni exubérant, ni austère. Juste passionné. Loin des clichés du collectionneur bling-bling ou du nostalgique crispé, il représente un art de vivre à l’anglaise, fait de tweed, de cuir patiné et de moteurs libérés.

    Et dans ce monde qui change, où la voiture ancienne est parfois perçue comme un anachronisme, il prouve que la passion automobile peut être intelligente, responsable et généreuse. Il ne roule pas pour épater, mais pour comprendre, pour ressentir, pour transmettre.

    Alors oui, entre deux reprises de Echoes, il peut bien démarrer une GTO à l’aube dans un paddock encore vide. Et ce son, profond et métallique, répond parfaitement à celui de sa caisse claire. Un écho. Une vibration. Une autre forme de rythme.

  • Raymond Loewy, l’homme qui dessina le XXe siècle

    Raymond Loewy, l’homme qui dessina le XXe siècle

    Retour sur le parcours du Français Raymond Loewy, pionnier du design industriel, qui a façonné aussi bien l’automobile que l’imaginaire collectif.

    Né à Paris le 5 novembre 1893, mort à Monaco le 14 juillet 1986, Raymond Loewy reste l’un des créateurs les plus influents du XXe siècle, bien qu’encore largement sous-estimé dans son pays natal. Si l’on croise ses œuvres quotidiennement – des logos de Shell, BP, Spar ou New Man à la bouteille de Coca-Cola ou au paquet de Lucky Strike – son nom n’évoque pas toujours immédiatement l’automobile. Et pourtant, Loewy a profondément marqué le design automobile américain, notamment par sa collaboration emblématique avec Studebaker.

    Un dessinateur de l’Amérique moderne

    Vétéran de la Première Guerre mondiale décoré de la Croix de guerre, Loewy quitte la France au début des années 1920 pour tenter sa chance aux États-Unis. Il y commence modestement comme illustrateur de mode, avant de faire évoluer sa carrière vers la création industrielle. Très vite, sa signature devient synonyme de modernité, de rationalité esthétique et de séduction fonctionnelle. À partir des années 1930, il impose l’idée que le design n’est pas un luxe mais une nécessité dans l’économie de marché.

    Pour Loewy, « la laideur se vend mal ». Ce principe, il l’appliquera à tout ce qu’il touche : réfrigérateurs, locomotives, paquets de cigarettes… et voitures. Sa méthode, qu’il appelle MAYA (pour Most Advanced Yet Acceptable), consiste à pousser l’innovation tout en restant dans un territoire visuel familier. C’est cette audace tempérée qui fera de lui le « designer de l’American Way of Life », selon l’expression de France Culture.

    Studebaker, l’avant-garde en mouvement

    C’est au volant d’une Studebaker Avanti, lancée en 1962, que l’on comprend le mieux la vision de Loewy pour l’automobile. Cette GT radicalement profilée, sans calandre apparente, dotée d’une ligne fuyante à l’extrême, tranche avec tout ce qui roule sur les routes américaines de l’époque. Dessinée en seulement 40 jours avec une petite équipe de fidèles collaborateurs, l’Avanti est un OVNI esthétique, considéré comme l’un des derniers sursauts créatifs de Studebaker, alors en déclin.

    Mais bien avant l’Avanti, Loewy avait déjà imprimé sa marque chez Studebaker. En 1947, il signe la première voiture entièrement nouvelle de l’après-guerre : la Champion. Son style moderne, ses volumes équilibrés et sa face avant distinctive rompant avec les copies de styles pré-guerre, posent les bases de la voiture américaine de l’après-conflit. Il enchaîne avec la Starliner au début des années 1950, un superbe coupé fastback qui influencera durablement le design automobile mondial.

    Si Loewy ne s’est jamais prétendu ingénieur, il savait cependant sublimer l’ingénierie par le style, en redonnant de la désirabilité à des marques ou des produits menacés d’obsolescence.

    Le styliste des machines modernes

    Son génie ne s’est pas arrêté au bitume. On lui doit le design de la locomotive S-1 de la Pennsylvania Railroad, longue de plus de 40 mètres, au style aérodynamique futuriste. Il dessina aussi les bus Greyhound Scenicruiser, icône roulante des routes américaines, sans oublier ses travaux pour l’aviation et, plus étonnamment encore, pour l’espace.

    Dès les années 1960, Loewy est recruté comme consultant par la NASA. Il intervient sur l’aménagement intérieur des stations orbitales Skylab et propose des solutions pour améliorer le confort psychologique des astronautes dans des environnements confinés. Il y introduit des notions qui nous semblent évidentes aujourd’hui : contrastes de couleurs pour éviter la confusion spatiale, zones de loisirs, tables modulables. Une approche pionnière, où le design se fait bien plus que décoratif : il devient vital.

    Un legs universel mais discret

    Malgré cette œuvre foisonnante, Loewy n’a jamais connu en France la reconnaissance que les Américains lui ont accordée de son vivant. Il fut pourtant célébré à plusieurs reprises outre-Atlantique : Time Magazine lui consacra une couverture en 1949, Spiegel en fit de même en 1953. En 1952, il est même décoré de la Légion d’honneur.

    Ce paradoxe – celui d’un Français devenu héros culturel américain – alimente encore aujourd’hui la fascination qu’il suscite chez les historiens du design. Il y a chez Loewy une intelligence de l’époque, un flair esthétique doublé d’une rigueur industrielle, qui anticipaient la société de consommation tout en en définissant les codes visuels.

    Le regard d’AUTOcult

    Pour nous, passionnés de belles mécaniques et de lignes qui racontent leur époque, Raymond Loewy incarne ce lien magique entre l’art, la technologie et l’industrie. À une époque où le design automobile tend à se fondre dans une certaine uniformité mondiale, revisiter les travaux de Loewy permet de se rappeler que le style peut être à la fois radical, audacieux… et commercialement viable.

    Souhaitons que Raymond Loewy retrouve la place qu’il mérite dans le panthéon du design automobile. Après tout, comme il le disait lui-même : « la simplicité est la clé de l’élégance. » Et cela, dans l’automobile comme ailleurs, reste une vérité intemporelle.

  • Krug et la Rolls : un champagne servi avec panache

    Krug et la Rolls : un champagne servi avec panache

    Quand la plus aristocratique des automobiles se fait utilitaire chic pour servir les plus fines bulles de la Champagne… Retour sur l’incroyable destin de « KRU 149 », la Rolls-Royce Silver Shadow II transformée en break de livraison pour la maison Krug.

    À Reims, le prestige ne se limite pas aux cuvées. Chez Krug, l’excellence se transporte aussi avec éclat. Et parfois, cette idée prend une forme pour le moins inattendue : une Rolls-Royce carrossée en utilitaire. Oui, un break de livraison aux armes de la maison. Pas un canular ni un caprice d’artiste excentrique, mais une vision marketing aussi audacieuse qu’iconique, devenue réalité au tournant des années 1980.

    Un fantasme publicitaire devenu réel

    Tout commence par une image : celle imaginée par l’agence de communication de Krug. Une Rolls-Royce « Silver Cloud » garée devant une élégante propriété, coffre ouvert sur des caisses de champagne. Une accroche visuelle forte, clin d’œil à l’univers feutré de la marque. Mais l’impact de la campagne est tel que les demandes affluent : on veut cette voiture, la vraie.

    Rémi Krug, visionnaire et amateur de symboles forts, décide alors de matérialiser l’idée. Direction Crewe, pour obtenir le feu vert de Rolls-Royce, qui, non sans humour britannique, conseille de ne pas transformer une ancienne Silver Cloud mais plutôt une Silver Shadow II, mieux adaptée structurellement. Surtout, prévient-on, que l’arrière puisse supporter le poids des bouteilles…

    Carrossée à l’anglaise, avec un art consommé du détail

    La base est trouvée. La transformation est confiée à FLM Panelcraft, atelier anglais réputé pour ses conversions artisanales sur Aston Martin et Bentley. La Silver Shadow II est allongée, équipée de panneaux latéraux pleins, d’un hayon spécifique, et surtout d’un aménagement intérieur sur mesure pour répondre aux besoins d’un service très exclusif : livrer du champagne Krug avec faste.

    Deux réfrigérateurs pour seize bouteilles, deux caisses en acajou pour huit verres, des seaux, une table pliante, cinq chaises et même un auvent rétractable font de cette Rolls une ambassade roulante de l’art de vivre à la française. Et parce que l’élégance prime, elle arbore une livrée bicolore crème et cerise noire, avec les armoiries de Krug peintes à la main.

    Une tournée mondiale pour une voiture unique

    Baptisée « KRU 149 » d’après sa plaque anglaise, la Rolls effectue son premier service à Monaco, lors d’une réception organisée par le joaillier Boucheron. Chargée, elle penche dangereusement : un renforcement de la suspension arrière sera vite nécessaire. Deux autres exemplaires sont alors commandés pour le marché américain et japonais. Une trilogie rare, dont seuls les plus fins connaisseurs se souviennent.

    Dans les années 1990, le modèle européen continue à sillonner les routes du Vieux Continent, au gré des opérations spéciales. En Italie, une offre mémorable proposait même la livraison en Rolls dès l’achat de 30 bouteilles… Preuve que le luxe peut aussi être un outil logistique, pourvu qu’il soit bien carrossé.

    Un retour aux sources, une restauration d’orfèvre

    Mais comme souvent avec les objets de communication les plus spectaculaires, la Rolls finit par tomber dans l’oubli. Jusqu’à ce qu’Olivier Krug et Éric Lebel, alors chef de cave et amateur d’automobiles, décident de la rapatrier en 2010 depuis Rome, au prix d’un long périple routier et de 20 kilos d’outils à l’ancienne. L’objectif : redonner vie à cette ambassadrice endormie.

    C’est à l’atelier Lecoq, institution française de la restauration automobile, que revient l’honneur de cette remise en état. Mécanique, sellerie, carrosserie : tout est revu dans les règles de l’art. L’opération la plus délicate ? Le « réchampissage » des lettrages Krug sur la caisse, confiée à Taka-Hira, peintre japonais formé par son grand-père, artisan du cannage de la Renault 4 Parisienne. Cinq couches de peinture et autant de vernis sont nécessaires pour redonner son éclat à la noble carrosserie.

    Une icône immobilisée par la loi Évin

    Aujourd’hui, « KRU 149 » est en passe de retrouver son fief rémois. Mais pas question pour autant de reprendre la route. Depuis l’entrée en vigueur de la loi Évin, les possibilités d’utiliser la voiture comme vecteur de communication sont sévèrement encadrées. Son avenir se jouera sans doute dans un musée, ou dans les salons feutrés de la maison Krug, comme témoin muet d’une époque où le champagne se livrait avec majesté.

  • Ford Escort Mexico by MST : un mythe ressuscité pour l’ère moderne

    Ford Escort Mexico by MST : un mythe ressuscité pour l’ère moderne

    Il y a des lignes qui traversent les âges. Des silhouettes qui, au premier coup d’œil, réactivent la mémoire collective des passionnés. La Ford Escort Mk1, dans sa variante Mexico, fait partie de ces icônes. Près de 55 ans après sa naissance dans l’euphorie du Londres-Mexico 1970, elle revient sur le devant de la scène grâce au travail d’orfèvre d’un petit artisan gallois : MST Cars. Leurs nouvelles Escort Mk1 et Mk2, prévues respectivement pour 2026 et 2027, incarnent un parfait mélange entre esprit d’époque et mécanique contemporaine.

    Rétro… mais pas nostalgique

    Basée à Pontypool, au sud du Pays de Galles, Motorsport Tools (MST) s’est fait connaître dans le petit monde des Escortistes pour la qualité de ses pièces et répliques. Mais avec cette initiative, le préparateur change d’échelle. Les MST Mk1 et Mk2 Sports ne sont pas des restomods, ni des restaurations sur base ancienne. Ce sont des voitures neuves, montées sur coques neuves produites au Royaume-Uni, avec des renforcements spécifiques inspirés de ceux utilisés dans les Escort Mexico construites à l’époque dans l’usine AVO (Advanced Vehicle Operations) de Ford à South Ockendon.

    L’ADN de la Mexico… dopé à la technologie

    Si le design reste résolument fidèle aux Escort de la grande époque, MST ne s’est pas contenté d’un copier-coller nostalgique. Sous les lignes épurées de la carrosserie « narrow body » (mais avec ailes avant élargies), on retrouve une fiche technique d’aujourd’hui :

    • 2.0 litres atmosphérique, double arbre à cames, alimenté par papillons individuels
    • 180 ch envoyés aux roues arrière via une boîte manuelle 5 rapports
    • Différentiel autobloquant à glissement limité, pour une motricité digne de ce nom
    • Suspensions réglables, freins à 4 pistons à l’avant, jantes RS en 13 pouces

    La recette est simple : légèreté + puissance maîtrisée + châssis affûté = plaisir brut. On imagine sans peine le comportement joueur et agile, dans l’esprit des Escort qui ont brillé en rallye dans les années 1970.

    Finition d’époque, qualité moderne

    Côté look, le classicisme est assumé. Peinture blanche de série, avec les légendaires touches de chrome et la possibilité d’opter pour des teintes vives emblématiques : orange, vert, bleu… comme au bon vieux temps. L’intérieur, s’il n’a pas encore été dévoilé en intégralité, promet lui aussi un cockpit à l’ancienne, avec tout juste ce qu’il faut de modernité pour garantir l’usage sans sacrifier l’ambiance.

    Une série très limitée

    MST ne joue pas la carte de la grande série. Seulement 25 exemplaires seront produits pour chaque version – Mk1 comme Mk2 – avec conduite à droite par défaut (mais possibilité de conversion pour les marchés continentaux). Le tarif annoncé démarre à 74 500 £ HT (environ 87 000 € TTC selon les taxes locales), un prix conséquent, mais justifié par le niveau de finition et le caractère exclusif de l’opération.

    Un hommage mécanique, pas un exercice de style

    Loin de surfer uniquement sur la vague rétro, MST réussit à réconcilier deux époques :

    • Celle où l’automobile était une affaire de sensations – brutes, mécaniques, sans filtre électronique
    • Et celle où la précision artisanale permet de faire revivre ces émotions avec une rigueur d’exécution rarement atteinte à l’époque

    En 2026, cela fera 57 ans que la Ford Escort a remporté le marathon Londres-Mexico, donnant naissance à l’une des déclinaisons les plus aimées de la gamme. Le clin d’œil historique n’est pas fortuit, et le timing est parfait pour réancrer l’Escort Mexico dans l’imaginaire des nouvelles générations de passionnés.

  • Fabian Oefner : l’art de figer l’explosion automobile sur pellicule

    Fabian Oefner : l’art de figer l’explosion automobile sur pellicule

    Fabian Oefner, photographe suisse né en 1984, est reconnu pour ses œuvres mêlant art et science, explorant le temps, l’espace et la réalité. Il s’est fait mondialement connaître avec sa série Disintegrating lancée en 2010, où des voitures – d’abord des maquettes, puis de vrais modèles de légende – semblent littéralement exploser dans un instant figé.

    1. Une technique hors norme

    Pour chaque image, Oefner démonte entièrement la voiture, du châssis aux plus petites vis, et photographie chaque élément avec minutie. Ces milliers de clichés sont ensuite recomposés via retouche numérique pour recréer un instant fictif de désintégration parfaite. Les résultats, d’une précision trompeuse, évoquent le rendu 3D, mais sont entièrement réalisés à partir de photographies réelles .

    2. Une étoile : la Lamborghini Miura SV

    En 2018, Oefner franchit un cap en intégrant une véritable Lamborghini Miura SV de 1972 à sa série Disintegrating X. Trois ans de travail, 1 500 éléments photographiés en Italie, dans les ateliers de restauration proches de Sant’Agata Bolognese, pour aboutir à une mise en scène hyperréaliste. L’ambiance particulière de l’atelier – chaleur, odeurs, bruits – reste vivace à travers l’œuvre.

    3. Une immersion dans l’hyperréalité

    Au-delà de la prouesse visuelle, l’œuvre questionne notre perception de la réalité. Elle capture un instant impossible – la voiture se désagrégeant sans se heurter ni altérer ses composants – et nous invite à repenser le lien entre notre vision et le monde concret.

    Pourquoi cela résonne sur AUTOcult.fr

    • Innovation & élégance : Oefner allie la beauté mécanique des supercars à une mise en œuvre artistique de haut vol.
    • Racines automobiles : la Miura SV en vedette conclut magnifiquement l’évolution artistique de l’objet technique vers l’intangible.
    • Expérience immersive : au-delà de l’objet auto, c’est une exploration de la temporalité et des perceptions – cœur même de la passion automobile.
  • Bovensiepen Zagato : quand l’héritage d’Alpina rencontre le style Zagato

    Bovensiepen Zagato : quand l’héritage d’Alpina rencontre le style Zagato

    À l’occasion du Concorso d’Eleganza Villa d’Este 2025, la famille Bovensiepen — héritière d’Alpina — a dévoilé sa toute première création sous son nouveau label, en collaboration avec le célèbre carrossier italien Zagato : la Bovensiepen Zagato, GT unique née de la BMW M4 Cabriolet.

    Une alliance germano-italienne inédite

    Basée sur la plateforme de la M4, mais profondément retravaillée, la carrosserie est désormais réalisée majoritairement en fibre de carbone, arborant le toit double-bubble typique de Zagato, des vitres sans montant B et des lignes sculptées conçues pour l’élégance autant que pour l’aérodynamisme. L’ensemble mesure près de 4,94 m de long, pour 1,91 m de large, avec seulement 1 875 kg à vide.

    Mécanique : 611 ch de fougue

    Sous le capot, le six cylindres 3,0 l biturbo S58, renforcé par Bovensiepen, développe 611 ch et 700 Nm de couple, permettant un 0‑100 km/h en 3,3 s , et une vitesse de pointe supérieure à 300 km/h. L’échappement en titane Akrapovič – 40 % plus léger – lui confère une sonorité racée. La suspension Bilstein Damptronic et les modes de conduite (Confort, Sport, Sport Plus) assurent un comportement équilibré entre performance et confort.

    Un habitacle sur mesure

    L’intérieur conserve la planche de bord de la M4, mais se pare de cuir Lavalina exclusif (héritage Alpina) et d’Alcantara, avec plus de 130 heures de travail artisanal. Le programme Bovensiepen Bespoke offre 16 coloris standard, et jusqu’à 45 options supplémentaires sur mesure.

    Une manière de poser les bases d’une nouvelle marque

    Suite à l’acquisition de la marque Alpina par BMW en 2022, Andreas et Florian Bovensiepen ont relancé leur propre marque de petites séries de haute couture automobile, mettant l’accent sur le luxe individualisé. La Bovensiepen Zagato marque cette renaissance, alliant ingénierie bavaroise et artisanat italien .

    Disponibilité et avenir

    Fabriquée à la main dans l’usine de Buchloe (au moins 250 heures de travail par exemplaire), la Zagato devrait être livrée à partir du second trimestre 2026. Le nombre d’unités officiellement limité et le prix seront annoncés avant fin 2025.

    La Bovensiepen Zagato incarne avec brio le renouveau de la tradition Alpina via une GT exclusive à l’ADN puissant, esthétique raffinée et performances hors normes. Une première magistrale pour la nouvelle marque Bovensiepen dans le segment des GT sur mesure.

  • Les premiers pas de l’automobile sur la Lune

    Les premiers pas de l’automobile sur la Lune

    En juillet 1971, les astronautes Dave Scott et James B. Irwin quittèrent la Terre à bord du module lunaire Falcon, embarquant pour une mission Apollo 15 qui marquerait l’histoire. Après avoir traversé l’immensité glaciale de l’espace sur plus de 400 000 km, ils furent les premiers à non seulement laisser leurs empreintes sur la Lune, mais aussi des traces de pneus.

    Comme pour toutes les missions Apollo, chaque centimètre du module était occupé par du matériel scientifique et des équipements vitaux. Mais Falcon transportait une nouveauté qui allait révolutionner l’exploration spatiale : le premier Rover Lunaire (LRV-1). Ce véhicule plié sous le module, tel un origami technologique, allait décupler la portée des missions lunaires. Appelez-le Rover ou Jeep, mais il n’a pas de marque.

    Lors de leur atterrissage dans la région montagneuse de Hadley-Apennin, Scott et Irwin pilotèrent leur descente avec une précision millimétrée. Une fois posés, l’une de leurs premières tâches fut de libérer et d’assembler le rover, une prouesse d’ingénierie en aluminium et titane, conçue pour se déployer comme un puzzle grandeur nature. En quelques manœuvres, le véhicule fut prêt à rouler. « C’est magnifique », murmura Scott en voyant les roues métalliques prendre forme.

    Dès les premières rotations, les pneus du LRV imprimèrent des sillons sur le sol lunaire, promesse d’une exploration inédite. Un événement étonnant lorsqu’on se rappelle que moins d’un siècle plus tôt, le Benz Patent-Motorwagen inaugurait la mobilité terrestre.

    Bien que certains aient vu dans cette voiture extraterrestre un simple symbole de l’amour américain pour l’automobile, elle fut en réalité un outil décisif pour la science. Comparé aux premières missions Apollo où les astronautes n’exploraient que quelques dizaines de mètres autour de leur module, le LRV permit de parcourir près de 100 km lors des missions Apollo 15, 16 et 17, ouvrant la voie à de nouvelles découvertes.

    Son histoire remonte aux années 1950, lorsque des ingénieurs visionnaires de General Motors, Greg Bekker et Ferenc Pavlics, commencèrent à imaginer des moyens de locomotion pour d’autres mondes. Au fil des ans, des tests furent réalisés dans des conditions extrêmes, notamment dans des bacs remplis de farine pour simuler la poussière lunaire. Plusieurs concepts furent étudiés, y compris un système de propulsion par vis d’Archimède, avant que la roue ne s’impose comme la solution la plus efficace.

    Les roues du LRV furent ainsi réalisées en maille de fil d’acier inoxydable, recouvertes de chevrons en titane pour l’adhérence. Avec un poids total de seulement 210 kg sur Terre (34 kg en gravité lunaire), le rover pouvait transporter jusqu’à 490 kg de charge utile, incluant les astronautes et leur matériel scientifique.

    Le pilotage était réduit à l’essentiel : un simple manche en T permettait d’accélérer, freiner et tourner. Une solution nécessaire pour être manipulable en combinaison spatiale, où chaque geste demandait un effort considérable.

    Malgré son apparence rudimentaire, rappelant des sièges de 2CV montés sur une structure d’aluminium, le LRV était une merveille d’efficacité. Son développement, bien que rapide (17 mois seulement), dépassa largement les budgets prévus, atteignant 38 millions de dollars, soit près de 300 millions aujourd’hui.

    Et pourtant, son héritage perdure. Aujourd’hui encore, les trois rovers de la NASA restent figés sur la Lune, témoins immobiles de l’audace humaine. Qu’importent les défis à venir, ces vestiges de l’exploration nous rappellent qu’un jour, des hommes ont osé rouler bien au-delà des limites du possible.