Citroën et flex-office : quand le Garage Marbeuf réinvente l’art du bureau

Autrefois cathédrale Art déco dédiée à l’automobile française triomphante, l’ancienne concession Citroën du 32-34 rue Marbeuf entame une nouvelle vie. Transformé en immeuble de bureaux par la foncière Gecina, ce bâtiment emblématique du Triangle d’or parisien mêle mémoire industrielle et exigences contemporaines. Reportage dans ce que l’on pourrait bien appeler la Rolls des bureaux parisiens.

À première vue, la spectaculaire façade vitrée du 32-34 rue Marbeuf, dans le très chic 8e arrondissement de Paris, pourrait passer pour une audace contemporaine. Pourtant, derrière ses lignes pures et sa transparence affirmée, c’est une véritable pièce du patrimoine automobile français qui s’offre une nouvelle jeunesse. Avant de devenir « Icône », son nouveau nom de baptême, ce bâtiment fut, dans l’entre-deux-guerres, le premier garage Citroën de la capitale, une vitrine monumentale du génie d’André Citroën et de l’optimisme industriel des années 20.

Conçu par Albert Laprade entre 1926 et 1929, le « Garage Marbeuf » n’était pas un simple atelier mécanique ou une banale concession. Il s’agissait d’un temple Art déco de 19 mètres de haut, un espace spectaculaire où les voitures trônaient comme des œuvres d’art, avec un atrium baigné de lumière et des structures métalliques typées Eiffel en hommage au modernisme de l’époque. Longtemps défiguré par des rénovations successives, le bâtiment avait fini par se fondre dans l’anonymat d’immeubles de bureaux sans âme. Jusqu’à ce que Gecina décide, en pleine pandémie, de lui redonner son éclat.

Une réinvention post-Covid

Dès 2020, la foncière parisienne imagine un projet aussi ambitieux qu’audacieux : réhabiliter ce lieu emblématique en y injectant les nouvelles attentes du bureau post-Covid. Luminosité, espaces extérieurs, circulation fluide, modularité… L’objectif est clair : faire du retour au bureau une expérience désirable. « Il fallait que les gens aient envie de revenir travailler sur place. Il fallait créer un lieu vivant, ouvert, lumineux, chaleureux », explique Beñat Ortega, directeur général de Gecina.

Pour cette métamorphose, le cabinet PCA-Stream, dirigé par Philippe Chiambaretta, a relevé le défi architectural avec une attention rare pour le passé du site. Le résultat : une restauration magistrale de l’ossature Eiffel, la suppression des faux plafonds, des façades allégées et des fenêtres redessinées pour magnifier la lumière. L’atrium central, anciennement obstrué, retrouve ses 14 mètres de hauteur et se pare d’un double escalier monumental en spirale, façon Chambord, mêlant prestige et fonctionnalité.

De la DS à l’open space

Le projet, fort d’un investissement de plus de 200 millions d’euros, redonne un souffle contemporain à un espace historiquement dédié à l’automobile. Si autrefois les DS, Traction Avant ou Rosalie s’y exposaient en majesté, ce sont désormais plus de 1000 salariés qui pourront s’y croiser au quotidien. Sur les 10.800 m² de surface, répartis sur dix niveaux, les bureaux s’organisent autour de l’atrium et s’ouvrent vers l’extérieur via 1700 m² de terrasses végétalisées.

Des détails pensés pour favoriser les nouveaux usages du travail : mobilier extérieur équipé de prises électriques, vues imprenables sur la tour Eiffel, larges espaces collaboratifs, circulation fluide… Même les anciennes rampes menant aux parkings ont été réinterprétées : désormais, ce sont 200 emplacements vélo qui remplacent les places automobiles d’antan. Une évolution logique dans un Paris qui regarde vers la mobilité douce, sans renier son passé motorisé.

Un héritage automobile respecté

Là où d’autres auraient rasé pour reconstruire, Gecina et PCA-Stream ont préféré respecter et révéler le patrimoine, assumant la filiation entre industrie automobile et architecture tertiaire. Le résultat n’est pas un pastiche mais une synthèse réussie : l’ancien Garage Marbeuf devient un immeuble de bureaux haut de gamme, fidèle à son ADN d’origine — la modernité.

Le clin d’œil au passé n’est jamais appuyé, mais perceptible : la monumentalité des volumes, la lumière naturelle, la transparence et la logique constructive font écho aux valeurs qui animaient Citroën dans les années 30. À quelques centaines de mètres, le C42, autre flagship historique de la marque aux chevrons, a été fermé en 2018 et remplacé par une enseigne de sportswear. Le bâtiment de la rue Marbeuf, lui, demeure un témoin vivant de l’épopée automobile française, même s’il a troqué ses carrosseries étincelantes contre des écrans d’ordinateur.

Luxe et confidentialité

Le bâtiment n’aura pas mis longtemps à séduire. Un locataire unique – pour l’heure non dévoilé – a réservé l’intégralité des espaces, signe de l’attractivité de ce lieu d’exception. Si le montant du bail est tenu confidentiel, les connaisseurs du marché tertiaire estiment que les loyers y atteindront les plus hauts standards du quartier, déjà le plus cher de Paris. Une adresse comme celle-ci ne se vend pas : elle se garde, assure-t-on chez Gecina.

Le 32-34 rue Marbeuf est bien plus qu’un immeuble de bureaux. C’est un symbole de transformation urbaine réussie, un hommage discret à l’histoire industrielle de Paris et une démonstration de ce que peut être l’architecture de bureau du XXIe siècle : respectueuse du passé, adaptée aux besoins du présent, et prête à accueillir l’avenir.

Ici, Citroën ne rugit plus, mais inspire encore.