Le paradoxe de Monty Hall : quand un jeu télévisé et une voiture ont changé les mathématiques

Dans l’Amérique des sixties et des seventies, l’automobile était plus qu’un moyen de transport : elle incarnait le rêve, la prospérité et l’aboutissement d’un idéal de société. Les chromes étincelants, les carrosseries interminables et les V8 grondants faisaient partie de l’imaginaire collectif. Rien d’étonnant alors que la télévision, ce nouveau temple de la culture populaire, ait fait de la voiture son trophée ultime. C’est ainsi qu’un jeu télévisé est entré dans la légende, non seulement pour ses mises en scène spectaculaires, mais aussi parce qu’il a donné naissance à l’un des paradoxes mathématiques les plus célèbres du XXe siècle : le paradoxe de Monty Hall.

Let’s Make a Deal : l’Amérique du spectacle et de l’abondance

Créée en 1963 par le producteur Stefan Hatos et l’animateur canadien Monty Hall, l’émission Let’s Make a Deal devient rapidement un phénomène de société. Le principe est simple : le public, déguisé en costumes extravagants, participe à un jeu de hasard orchestré par Monty Hall, qui multiplie les offres et contre-offres. Les participants peuvent repartir avec quelques dollars, des objets absurdes ou… une automobile flambant neuve, exposée sur le plateau comme un Graal.

Les voitures offertes reflètent alors la puissance de l’industrie américaine. Pontiac GTO, Ford Mustang, Cadillac Eldorado ou encore Buick Riviera : ces modèles symbolisent à la fois le succès et l’horizon d’une vie meilleure. L’image d’un candidat ouvrant une porte pour découvrir derrière elle une berline de Detroit à la peinture métallisée et aux sièges en cuir est devenue l’icône d’un âge d’or télévisuel.

Mais c’est une mécanique bien particulière du jeu qui a retenu l’attention des mathématiciens, des statisticiens et… des amateurs de paradoxes.

Trois portes, une voiture et deux chèvres

L’un des moments phares du show consistait à choisir entre trois portes. Derrière l’une d’elles, une automobile de rêve. Derrière les deux autres, des lots de consolation, souvent des chèvres vivantes. Monty Hall, avec son sourire espiègle et son sens du suspense, proposait au joueur d’ouvrir une porte. Puis, sachant ce qui se cachait derrière chacune, il dévoilait une autre porte contenant forcément une chèvre. Et enfin, il posait la question fatidique : « Voulez-vous changer de porte ? »

À première vue, le dilemme paraît équitable. Deux portes, une voiture : une chance sur deux, pense-t-on spontanément. Mais la réalité mathématique est tout autre. En conservant son choix initial, le joueur n’a qu’une chance sur trois de gagner. En revanche, en changeant, il double ses chances pour atteindre deux chances sur trois. Ce résultat, contre-intuitif, deviendra le fameux paradoxe de Monty Hall.

De la télévision aux mathématiques

Le problème a longtemps circulé comme une curiosité probabiliste parmi les amateurs de jeux et les étudiants en statistiques. Mais il a explosé dans l’opinion publique à la fin des années 1980, lorsqu’une lectrice posa la question dans la rubrique de Marilyn vos Savant, considérée comme la femme la plus intelligente du monde par le Guinness Book. Dans son magazine, elle expliqua que la stratégie gagnante était bien de changer de porte. Tollé général. Des centaines de lecteurs, dont des professeurs de mathématiques et des chercheurs, lui écrivirent pour la contredire. Pourtant, les expériences répétées et les simulations informatiques confirmèrent son raisonnement : Monty Hall avait, bien malgré lui, popularisé une démonstration implacable des lois des probabilités.

La voiture comme symbole

Si le paradoxe a marqué autant les esprits, c’est aussi parce qu’il mettait en jeu une automobile. Dans l’Amérique de Let’s Make a Deal, gagner une voiture n’était pas un simple prix : c’était un changement de vie. Devenir propriétaire d’une Cadillac flambant neuve représentait un ascenseur social en accéléré, un signe extérieur de réussite. La tension dramatique venait de là : derrière une porte, une existence transformée ; derrière les deux autres, une chèvre broutant placidement la moquette du plateau.

Le parallèle entre le rationnel (les probabilités) et l’émotionnel (le désir de la voiture) est sans doute ce qui a rendu le paradoxe de Monty Hall aussi marquant. Les spectateurs se mettaient à la place du joueur : aurais-je osé changer de porte, quitte à perdre ce que j’avais déjà désigné ? Ou serais-je resté fidèle à mon premier choix, au risque de passer à côté du rêve automobile ?

Monty Hall, malgré lui, éternel

Ironie de l’histoire, Monty Hall lui-même n’aimait pas que son nom soit attaché à ce paradoxe. Il estimait que le raisonnement mathématique ne traduisait pas parfaitement la réalité de son jeu, où les candidats étaient influencés par sa manière d’animer, ses hésitations feintes ou ses incitations subtiles. Mais le mal était fait : son nom restera à jamais lié à l’une des énigmes les plus célèbres de la culture populaire.

Entre probabilité et passion

Le paradoxe de Monty Hall est plus qu’un problème mathématique. C’est une histoire où se croisent la télévision, la culture populaire américaine, le rêve automobile et la rationalité scientifique. Il nous rappelle qu’une voiture, bien plus qu’un objet mécanique, peut devenir le pivot d’un récit collectif, d’une tension dramatique et d’un apprentissage intellectuel.

Alors, si vous vous retrouviez un jour devant trois portes, avec une Cadillac des sixties derrière l’une d’elles et deux chèvres derrière les autres… que feriez-vous ?