La nostalgie est un abri commode quand tout semble chahuté autour de nous. J’ai pourtant toujours été de ceux qui mettent en garde contre une vision trop enjolivée du passé. Les anciennes tombaient en panne sans prévenir, leurs freins étaient médiocres, la rouille grignotait chaque recoin de carrosserie, et les gaz d’échappement suffisaient à nous asphyxier derrière un simple bus scolaire. Toits ouvrants qui fuient, directions approximatives… non, vraiment, Google Maps vaut mieux que les cartes Michelin tachées d’huile ou pleines de miettes.
D’ordinaire, les rassemblements de voitures anciennes me rendent nerveux. C’est un peu comme revoir une vieille sitcom des années 1970 ou un épisode de Top of the Pops : pour chaque moment de joie, il y a toujours une gêne qui surgit. Et inutile de me lancer sur la mode des restomods électriques…
Pourtant, ces derniers temps, plusieurs expériences m’ont forcé à reconsidérer ma position. La rencontre avec les propriétaires des vieilles Alfa Romeo sur un ancien circuit de F1, par exemple. Leur enthousiasme est communicatif, leur connaissance impressionnante. Ce ne sont pas des passéistes obstinés : ils vivent avec un pied dans le monde moderne et l’autre dans l’héritage automobile. Et surtout, leurs autos ne sont pas que des objets de collection : elles rappellent l’importance des fondamentaux. Des intérieurs clairs et ingénieux, une mécanique simple mais efficace, juste ce qu’il faut de puissance, sans gadgets superflus.
Ce n’est pas seulement une impression personnelle : une partie de l’industrie automobile semble elle aussi s’être laissée accrocher à ce clou de la nostalgie. Gilles Vidal, brillant designer chez Peugeot, a quitté Renault après une parenthèse éclair pour revenir au sein de Stellantis. McLaren s’est entourée de deux figures légendaires du management : Luca di Montezemolo, artisan du renouveau Ferrari dans les années 1990, et Torsten Müller-Ötvös, qui a transformé Rolls-Royce en référence de créativité et de succès commercial.
Chez Volvo, le parfum de déjà-vu est encore plus marqué : Håkan Samuelsson reprend temporairement les commandes, tandis que Thomas Ingenlath – ex-directeur du design de la marque, puis patron de Polestar – retrouve le giron de Geely dans une fonction créative. Difficile de ne pas voir dans ces retours une forme de rappel aux bases, une volonté de rééquilibrer une transition qui semblait jusqu’ici précipitée.
Car c’est bien cela, le contexte : une industrie bousculée par l’électrification, par la montée en flèche des coûts, par l’arrivée de nouveaux constructeurs venus de Chine qui remettent en cause nos certitudes d’Européens convaincus d’être les « experts » de l’automobile. Peut-être que personne ne saura jamais ce qui s’est réellement tramé à Göteborg ou à Wuhan, mais le résultat est tangible : un retour de dirigeants et de designers qui savent ce que Volvo représente, et qui ont déjà su traduire cette philosophie dans la tôle et le verre. Car Volvo est sans doute la marque qui a le plus perdu son âme ces derniers temps… Oups, j’oubliais JLR.
On répète souvent que le passé n’est pas fait pour être copié – ni ses chromes, ni ses ailerons – mais pour éviter de refaire les mêmes erreurs. On ne peut pas effacer les errements d’hier, mais il semble que l’industrie soit entrée dans une parenthèse, un moment où la frénésie de l’électrification totale s’est légèrement apaisée. Le calendrier se desserre, laissant une opportunité rare : aborder la transition avec plus de mesure.
Si cela ouvre la voie à des voitures qui retrouvent l’esprit de la Giulietta Sprint, le confort quotidien et rassurant d’un XC90, ou l’agilité légère d’une Mini, sans dépasser les 2,5 tonnes sur la balance, alors nous tenons là une chance unique. Oui, il est temps de se retourner un peu, de regarder en arrière et de décider ce que nous voulons réellement préserver des automobiles récentes.