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Le pilote d’essais de la Lexus LFA Nürburgring Edition est mort

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Le pilote d’essais de la Lexus LFA Nürburgring Edition est mort

Le 24 juin 2010, l’information du décès du pilote-essayeur de la Lexus LFA Nürburgring Edition est passée sur de nombreux sites internet, allant bien au-delà du monde purement automobile. Les photos de la collision frontale avec une BMW Série 3 sont encore visibles. Ce jour-là, derrière le sensationnel de cette actu, le groupe japonais a fait plus que vaciller…

47 ans. 47 ans c’est assez pour avoir de l’expérience. 47 ans de carrière, c’est suffisant pour prendre des décisions au sein du Groupe Toyota. Cette matinée du 23 juin, Hiromu Naruse venait de faire son dernier tour de circuit sur la Nordschleife, sans le savoir. À ce moment-là, aucun japonais n’avait accumulé autant de kilomètres sur ce que Jackie Stewart avait surnommé « The Green Hell ».

Tous ces tours – depuis tant d’années – n’avaient qu’un objectif : concevoir le modèle de ses rêves, devenue Lexus LF-A Nürburgring Edition. Dans sa robe orange, elle était plus puissance que « sa » LFA d’origine, avec un aileron fixe et des suspensions spécifiques. Tout ce que Hiromu Naruse avait appris en mettant au point l’AE86, la Celica, la MR2 et, surtout, la Supra, était dans cette LFA.

Au terme de ce dernier tour, Hiromu Naruse se tourne vers Yohinobu Katsumata pour lui affirmer que la voiture est quasiment prête. Quasiment. Enfin, il touche son Graal : développer une voiture capable de rivaliser avec les meilleures productions européennes.

Yohinobu Katsumata est l’un des pilotes de pointe de Toyota. Il travaille avec Naruse depuis des années et ne prend le relais que lorsque tout est prêt. Et quand Naruse lui propose de prendre le volant pour faire un tour, il décline poliment et sort de l’habitacle. La séance de travail en piste est terminée. Dans le box, l’équipe Toyota range et prépare la session suivante, tandis que l’on entend dire que les amortisseurs doivent être vérifiés.

Hiromu Naruse avait constitué une petite équipe d’ingénieurs pour travailler sur cette supercar modelée selon ses goûts, selon ses dizaines d’années d’expérience.

Quand il se prépare à quitter le circuit pour rejoindre l’atelier de Toyota, on appelle un assistant pour ramener la voiture. Et les amortisseurs ont besoin d’être vérifiés. Naruse prend le dessus. Il conduira seul. Il n’y a que trois kilomètres, trois kilomètres qu’il a parcourus des centaines de fois avec toutes les Toyota imaginables. Il remonte la vitre et démarre. Son histoire s’arrête là.

Idole au sein de la maison Toyota, Hiromu Naruse était un quasi-inconnu, comme beaucoup d’essayeurs et de metteurs au point des plus grands constructeurs. Son nom est apparu et disparu en quelques heures, sans que l’on puisse mesurer à quel point le Toyota de 2010 portait son héritage.

Depuis près d’un demi-siècle, avec une marque aussi généraliste que Toyota, il avait mis sa propre marque sur les Sports 800, 1600GT, 2000GT, AE85 Sports Trueno, Corona, Celica, MR2, Supra, Lexus IS…

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Katsumata en parlait comme d’un « docteur en pilotage. Il conduisait vraiment différemment. Il parlait avec ses quatre roues. Un dialogue s’installait entre la machine et lui. Il la comprenait. »

Parmi ses anciens collègues, les souvenirs sont émus. Lors des séances de développement, il formatait ses équipes pour qu’elles ne pensent qu’au véhicule sur lequel elles travaillaient. Ne jamais être distrait par autre chose. Durant les dîners, la mise au point était l’unique sujet de conversation.

Hiromu Naruse était entré chez Toyota en 1963, dans le Département n°7 dédié aux sports mécaniques. À cette époque, il a œuvré sur la 2000GT et la Toyota 7 qui préfigurait les voitures de sport prototype à venir. C’est en multipliant les tours sur la piste d’essais maison qu’il a fait de l’un des douze principes de Toyota le sien : Genchi Genbutsu. Sa traduction serait : « Avance et vois par toi-même ».

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En 1973, le Département n°7 est fermé et Naruse est muté au développement des véhicules. Il y apporte sa science et son habitude de toucher les voitures. Au fil des années, il rend fous les ingénieurs avec lesquels il travaille. Durant de longues séances d’essais, il n’hésite pas à changer des pièces sans prévenir ses collègues. Il parvient également à modifier les spécificités d’un modèle après les ultimes validations, en usant de son énorme influence au plus haut de la hiérarchie.

Cette influence, il s’en est servi pour inculquer sa vision de la mise au point auprès de ses collègues : donner un parfum au véhicule. L’objectif était de rendre la voiture confortable et stable. Et, en conservant ces caractéristiques essentielles, commencer à lui donner ce parfum, ce goût…

Dans les faits, il conduisait à n’en plus finir et quittait le circuit pour enfermer le véhicule dans un conteneur. Là, il passait des heures sous le châssis à tout vérifier, sans air conditionné. Il donnait ses instructions pour améliorer le freinage ou demander un renforcement des suspensions. Les autres prenaient des notes. L’exercice pouvait durer si longtemps que son équipe avait inventé des codes pour pouvoir quitter l’irrespirable conteneur. Lui était dans son élément.

Mais celui qui parle le mieux d’Hiromu Naruse est peut-être Akio Toyoda en personne. En 2012, il a déclaré « La route modèle notre forme. Nous produisons des voitures selon ce que nous apprenons des routes. » Cette poésie était celle de Naruse.

Leur première rencontre date de 2000. Akio Toyoda rentre des États-Unis pour rejoindre son père Soichiro et terminer sa formation afin d’assurer la succession. Au passage du millénaire, Toyota met toute sa puissance au service de la Prius, une option que Naruse goûte assez peu, autant que la passion du futur patron qui préfère jouer au golf plutôt que de tenir un volant…

Au Japon, on dit qu’Hiromu Naruse a osé dire ces mots à Akio Toyoda : « Je ne veux pas que quelqu’un qui ne sait pas conduire vienne me parler de voiture. » L’invitation était lancée. Naruse est devenu le coach en pilotage de l’héritier Toyota. Les deux hommes sont devenus inséparables.

Akio Toyoda a appris à freiner, à braquer, à contrôler un survirage avec Naruse… Ils ont roulé sur tous les circuits japonais et profitaient de l’hiver pour aller s’exercer sur les routes enneigées d’Hokkaido. Akio Toyoda construisait ainsi sa capacité à comprendre la production de son entreprise et Hiromu Naruse distillait ses idées au futur patron.

Le board de Toyota voyait ça d’un autre œil. Même casqué, le fils de Soichiro prenait trop de risques. Et la femme d’Hiromu Naruse finissait même par donner l’unique conseil de sa vie professionnelle : « Assure-toi que tu protèges le président ! »

En 2002, Naruse vient de terminer des séances d’essais pour la Prius, la MR Spyder et la Lexus IS. À bientôt 60 ans, sa carrière touche à sa fin. Sauf que Toyota lui fait un cadeau en lui confiant le projet LFA et les pleins pouvoirs.

Depuis la fin des années 1980, Hiromu Naruse se bat pour que chacun des modèles sportifs de la marque soit testé et validé sur la Nordschleife. La première à recevoir cette autorisation est la Supra de troisième génération. Le succès du modèle ouvre la voie à la création de l’équipe Naruse : un commando de pilotes d’essais destiné à torturer des prototypes.

L’une des règles de l’équipe Naruse est de parcourir un tour de Nordschleife pour chaque cheval délivré par le moteur. Pour la Supra, ce fut 235 tours. Pour la LFA, ce sera 560 tours. Cette Lexus est justement mise au point exclusivement sur le tracé allemand. Il engage KYB pour concevoir les amortisseurs et guide les ingénieurs. Il choisit Bidgestone pour les pneumatiques et passe ses instructions pour les mélanges. Hiromu Naruse construisait son rêve, celui pour lequel il était entré chez Toyota dans les années 1960.

Porsche, Audi ou BMW étaient dans le viseur. Yamaha s’est occupé du moteur V10 4,8 litres. L’écurie de F1 a conçu les métiers à tisser la fibre de carbone afin de s’assurer que la masse globale n’allait pas pâtir de la recherche de rigidité. Naruse était obsédé par son projet.

Et il en voulait encore plus. Il a demandé un budget supplémentaire à Akio Toyoda pour fonder une écurie de course spécifiquement dédiée à la mise au point de la LFA. C’est cette demande qui a mené à la création de Gazoo Racing. En 2007, deux Lexus Altezza (IS) ont participé aux 24 Heures du Nürburgring pour enregistrer des données… Avec Hiromu Naruse au volant. Deux ans plus tard, le Gazoo Racing envoyait deux LFA de préproduction sur ces 24 Heures. Akio Toyoda venait de prendre les commandes du groupe familial et la LFA était présentée officiellement au Salon de Tokyo en octobre 2009.

Toujours désireux d’aller plus loin, Hiromu Naruse avait envie de capitaliser sur les centaines de tours de Nordschleife avec une LFA encore plus spécifique : la Nürburgring Edition, limitée à 50 exemplaires. À quelques kilomètres de figer les spécifications, son travail s’est arrêté.

Aujourd’hui, l’une des LFA engagées sur les 24 Heures du Nürburgring est exposée dans son jus dans le Musée Toyota devant deux trophées et la combinaison d’Hiromu Naruse accrochée au mur. Plus encore, le Gazoo Racing est désormais le nom officiel des équipes engagées par Toyota tout autour du monde et chaque essayeur du groupe connaît l’histoire et le dévouement d’Hiromu Naruse…

Author: Rédaction

Rédaction AUTOcult.fr



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