Pendant plus d’un demi-siècle, l’automobile européenne a brillé par sa capacité à produire des voitures petites, ingénieuses et adaptées à un continent dense, urbain et sinueux. Fiat 500, Renault 4, Citroën 2CV, Mini, Peugeot 205, Lancia Ypsilon : autant de best-sellers qui ont incarné une vision populaire de l’automobile, économe en espace, en ressources et en énergie. Aujourd’hui, cette espèce est en voie d’extinction. Et ce sont les Européens eux-mêmes qui l’ont décimée.
La fin de la citadine thermique
Dans les gammes actuelles des constructeurs européens, les citadines thermiques ont quasiment disparu. Plus de Peugeot 108, plus de Citroën C1, plus de Ford Ka, plus d’Opel Adam. Même la Volkswagen up!, pourtant plébiscitée pour sa compacité, a quitté les chaînes. Les dernières survivantes s’appellent Fiat Panda ou Hyundai i10, et leur avenir est tout sauf assuré.
La fin de ces modèles n’est pas une décision purement industrielle. Elle est la conséquence directe d’un empilement de réglementations environnementales et sécuritaires qui rendent la production de petites voitures thermiques économiquement intenable. Des normes d’émissions plus strictes (WLTP, Euro 6d), des équipements de sécurité obligatoires toujours plus nombreux (freinage autonome, maintien de voie, capteurs, caméras, etc.), et une pression constante sur les constructeurs pour électrifier leurs gammes ont conduit à un paradoxe : il est devenu moins coûteux de vendre un SUV de 2 tonnes qu’une citadine d’une tonne à bas prix.
Le non-sens environnemental
L’ironie est cruelle. À l’heure où la neutralité carbone est érigée en absolu politique, l’Europe a tué ses voitures les plus sobres. De la conception à la fin de vie, une petite voiture essence reste aujourd’hui l’un des moyens de transport les plus efficaces énergétiquement. Faible masse, petite batterie (quand elle est électrifiée), consommation réduite : leur empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie est souvent inférieure à celle d’un SUV électrique lourd et surdimensionné.
Mais les réglementations européennes, obsédées par les émissions au pot d’échappement, ignorent cette réalité. Elles favorisent artificiellement les véhicules zéro émission en usage, au détriment d’une évaluation globale. Comme l’ex-PDG de Polestar Thomas Ingenlath l’a régulièrement souligné, l’absence de cadre contraignant sur les émissions du cycle de vie (ACV) biaise profondément la transition écologique du secteur.
Quand l’Europe oublie ses propres villes
La question n’est pas seulement technique ou environnementale. Elle est aussi urbaine et culturelle. Comme le rappelait Luca de Meo, ex-apprenti de vente à la découpe de Renault, lors du récent Future of the Car Summit du Financial Times, les rues médiévales de Sienne, Salamanque ou Heidelberg n’ont pas grandi en 20 ans. Et les garages européens n’ont pas gagné de mètres carrés. Pourtant, les voitures ont, elles, largement pris du volume.
Dans leur course à la mondialisation, les constructeurs européens ont conçu des modèles pensés pour les grands axes américains ou les mégalopoles chinoises, oubliant au passage les réalités locales. La proportion de véhicules de moins de 4 mètres produits par l’industrie européenne est passée de 50 % dans les années 1980 à moins de 5 % aujourd’hui. Un effondrement.
Face à cette désertion, les consommateurs européens ne sont pas restés passifs. Ils ont progressivement basculé vers les petites japonaises, coréennes et, désormais, chinoises. Des voitures mieux adaptées à leur quotidien, là où l’offre locale s’est évaporée.
Vers une renaissance ?
Tout n’est pas perdu. Les constructeurs européens rêvent de voir les contraintes s’assouplir pour donner naissance à des kei-cars du Vieux Continents.
Mais les conditions de rentabilité d’une petite voiture électrique sont étroites. Et la pression concurrentielle est intense, notamment face aux constructeurs chinois capables de proposer une citadine électrique comme la BYD Seagull à un prix défiant toute concurrence (environ 10 000 € en Chine).
Repenser les règles du jeu
Pour que la petite voiture survive — et prospère — en Europe, il ne suffira pas d’en faire une priorité industrielle. Il faudra repenser les règles. Cela peut passer par une fiscalité fondée sur la masse plutôt que sur la motorisation. Par un soutien à la fabrication locale de petites batteries. Par une réglementation qui privilégie la sobriété réelle plutôt que l’abstraction du zéro émission en usage.
C’est aussi une question d’aménagement du territoire, de sécurité (primaire, pas seulement secondaire), de justice sociale et d’équité entre usagers de la route. Récompenser la compacité, la légèreté, la faible consommation, c’est non seulement favoriser l’innovation automobile, mais aussi rendre les villes plus respirables et les routes plus sûres.
L’Europe a longtemps été la terre d’élection de la petite voiture. Elle en a fait un art, une industrie, une culture. Il est temps qu’elle s’en souvienne.