Retour sur le parcours du Français Raymond Loewy, pionnier du design industriel, qui a façonné aussi bien l’automobile que l’imaginaire collectif.
Né à Paris le 5 novembre 1893, mort à Monaco le 14 juillet 1986, Raymond Loewy reste l’un des créateurs les plus influents du XXe siècle, bien qu’encore largement sous-estimé dans son pays natal. Si l’on croise ses œuvres quotidiennement – des logos de Shell, BP, Spar ou New Man à la bouteille de Coca-Cola ou au paquet de Lucky Strike – son nom n’évoque pas toujours immédiatement l’automobile. Et pourtant, Loewy a profondément marqué le design automobile américain, notamment par sa collaboration emblématique avec Studebaker.
Un dessinateur de l’Amérique moderne
Vétéran de la Première Guerre mondiale décoré de la Croix de guerre, Loewy quitte la France au début des années 1920 pour tenter sa chance aux États-Unis. Il y commence modestement comme illustrateur de mode, avant de faire évoluer sa carrière vers la création industrielle. Très vite, sa signature devient synonyme de modernité, de rationalité esthétique et de séduction fonctionnelle. À partir des années 1930, il impose l’idée que le design n’est pas un luxe mais une nécessité dans l’économie de marché.
Pour Loewy, « la laideur se vend mal ». Ce principe, il l’appliquera à tout ce qu’il touche : réfrigérateurs, locomotives, paquets de cigarettes… et voitures. Sa méthode, qu’il appelle MAYA (pour Most Advanced Yet Acceptable), consiste à pousser l’innovation tout en restant dans un territoire visuel familier. C’est cette audace tempérée qui fera de lui le « designer de l’American Way of Life », selon l’expression de France Culture.
Studebaker, l’avant-garde en mouvement
C’est au volant d’une Studebaker Avanti, lancée en 1962, que l’on comprend le mieux la vision de Loewy pour l’automobile. Cette GT radicalement profilée, sans calandre apparente, dotée d’une ligne fuyante à l’extrême, tranche avec tout ce qui roule sur les routes américaines de l’époque. Dessinée en seulement 40 jours avec une petite équipe de fidèles collaborateurs, l’Avanti est un OVNI esthétique, considéré comme l’un des derniers sursauts créatifs de Studebaker, alors en déclin.
Mais bien avant l’Avanti, Loewy avait déjà imprimé sa marque chez Studebaker. En 1947, il signe la première voiture entièrement nouvelle de l’après-guerre : la Champion. Son style moderne, ses volumes équilibrés et sa face avant distinctive rompant avec les copies de styles pré-guerre, posent les bases de la voiture américaine de l’après-conflit. Il enchaîne avec la Starliner au début des années 1950, un superbe coupé fastback qui influencera durablement le design automobile mondial.
Si Loewy ne s’est jamais prétendu ingénieur, il savait cependant sublimer l’ingénierie par le style, en redonnant de la désirabilité à des marques ou des produits menacés d’obsolescence.
Le styliste des machines modernes
Son génie ne s’est pas arrêté au bitume. On lui doit le design de la locomotive S-1 de la Pennsylvania Railroad, longue de plus de 40 mètres, au style aérodynamique futuriste. Il dessina aussi les bus Greyhound Scenicruiser, icône roulante des routes américaines, sans oublier ses travaux pour l’aviation et, plus étonnamment encore, pour l’espace.
Dès les années 1960, Loewy est recruté comme consultant par la NASA. Il intervient sur l’aménagement intérieur des stations orbitales Skylab et propose des solutions pour améliorer le confort psychologique des astronautes dans des environnements confinés. Il y introduit des notions qui nous semblent évidentes aujourd’hui : contrastes de couleurs pour éviter la confusion spatiale, zones de loisirs, tables modulables. Une approche pionnière, où le design se fait bien plus que décoratif : il devient vital.
Un legs universel mais discret
Malgré cette œuvre foisonnante, Loewy n’a jamais connu en France la reconnaissance que les Américains lui ont accordée de son vivant. Il fut pourtant célébré à plusieurs reprises outre-Atlantique : Time Magazine lui consacra une couverture en 1949, Spiegel en fit de même en 1953. En 1952, il est même décoré de la Légion d’honneur.
Ce paradoxe – celui d’un Français devenu héros culturel américain – alimente encore aujourd’hui la fascination qu’il suscite chez les historiens du design. Il y a chez Loewy une intelligence de l’époque, un flair esthétique doublé d’une rigueur industrielle, qui anticipaient la société de consommation tout en en définissant les codes visuels.
Le regard d’AUTOcult
Pour nous, passionnés de belles mécaniques et de lignes qui racontent leur époque, Raymond Loewy incarne ce lien magique entre l’art, la technologie et l’industrie. À une époque où le design automobile tend à se fondre dans une certaine uniformité mondiale, revisiter les travaux de Loewy permet de se rappeler que le style peut être à la fois radical, audacieux… et commercialement viable.
Souhaitons que Raymond Loewy retrouve la place qu’il mérite dans le panthéon du design automobile. Après tout, comme il le disait lui-même : « la simplicité est la clé de l’élégance. » Et cela, dans l’automobile comme ailleurs, reste une vérité intemporelle.