Auteur/autrice : Rédaction

  • Depuis sa création, Alpine a rêvé de devenir Porsche. Ce rêve pourrait bien se concrétiser

    Depuis sa création, Alpine a rêvé de devenir Porsche. Ce rêve pourrait bien se concrétiser

    La valeur des équipes de Formule 1 n’est pas un concept anodin : elle peut façonner l’avenir du sport. Sans l’effet Netflix sur les évaluations, Porsche pourrait déjà faire partie du paysage, notamment via un éventuel rachat de Red Bull Racing. Mais le boom des valorisations post-Drive to Survive a fait dérailler le projet : Porsche estimait l’équipe à moins d’un milliard de dollars, alors que les valorisations réelles avaient alors rapidement doublé.

    Selon SportsPro, la valorisation de Red Bull Racing atteignait 3,35 Md d’euros en 2023, tandis que Ferrari culminait à 4,5 Md d’euros. La proposition de Porsche sous-estimait Red Bull de près de 2 Md d’euros, offrant à Christian Horner un solide argument économique pour rejeter l’offre.

    Alpine, écurie de milieu de tableau, se trouve dans une situation différente. Son écurie F1 est valorisée autour d’1,27 Md d’euros, selon des estimations reprises dans la presse, notamment dans le contexte d’une baisse de 18 % de la valeur des actions Renault en juillet — un signe d’affaiblissement potentiel face à une valorisation bien supérieure à sa performance sportive.

    Renault vient d’annoncer le remplaçant pour Luca de Meo, moteur de la renaissance d’Alpine, notamment au travers du rebranding de l’équipe. Mais il semblerait que son successeur portera une attention particulière à cette écurie F1 et à son immense valeur stratégique.

    La F1 de l’ère Netflix et du plafonnement des coûts peut devenir rentable. L’écurie de F1, loin d’être un boulet financier, pourrait même représenter un actif de plus de 1 milliard d’euros au moment où Renault pourrait avoir besoin de liquidités.

    Un groupe d’investisseurs américains détient déjà 24 % d’Alpine F1. Mais une question clé se pose : qui pourrait réunir les 865 M d’euros ou plus nécessaires pour acquérir le reste de l’écurie si Renault décidait de s’en séparer ? Un acheteur doté d’énergie… et de vision pourrait alors nommer un PDG expérimenté, capable de repositionner l’équipe, tout en exigeant un contrôle total — Christian Horner en tête des candidats potentiels. Quant à Porsche, s’il ne veut plus du moteur Mercedes, il pourrait envisager une collaboration autour du moteur Renault 2026, actuellement en ultime phase de développement à Viry.

    Depuis le retour de flamme autour de Flavio Briatore au sein de l’équipe, des rumeurs quant à une vente préparée courent. Renault les a démenties, mais le climat interne semble désormais plus incertain que jamais.

  • Honda vend un morceau de sa légende F1… et c’est aussi un vrai geste commercial

    Honda vend un morceau de sa légende F1… et c’est aussi un vrai geste commercial

    En amont de son grand retour comme motoriste officiel d’Aston Martin en Formule 1 en 2026, Honda Racing Corporation (HRC) lance une initiative autant symbolique que stratégique : la vente aux enchères de pièces authentiques de ses anciens moteurs de F1 — à commencer par le mythique RA100E V10, propulsant Ayrton Senna en 1990. HRC s’engage ainsi dans une nouvelle activité musicale : un business de “mémoire sportive”, où les souvenirs mécaniques deviennent objets de collection.

    Une pièce d’histoire mise en vitrine

    La pièce phare de cette première vente est le V10 RA100E numéro V805, dernier moteur utilisé en course par Senna en 1990, monté sur la McLaren MP4/5B. Utilisé notamment lors du Grand Prix du Japon à Suzuka et lors de l’ultime épreuve à Adélaïde, il est désormais disloqué pièce par pièce, chacune présentée dans un écrin avec certificat d’authenticité, après avoir été démontée avec soin par les mêmes ingénieurs d’HRC qui l’avaient construit. Une occasion unique de posséder un fragment de la mécanique d’une légende vivante.

    Un business patrimonial… et rentable

    L’enchère se tiendra lors de la Monterey Car Week, précisément au prestigieux Bonhams Quail Auction de Carmel, le 15 août. Ce projet marque l’entrée de HRC sur le marché des memorabilia racés, offrant aux fans une chance rare de toucher du doigt l’histoire — dans un format tangible. Des objets comme des pistons, arbres à cames et couvercles usés sont prêts à trouver de nouveaux propriétaires passionnés.

    HRC souhaite pérenniser cette démarche, déjà enrichie de pièces d’IndyCar ou de motos mythiques, tout en préservant ses modèles historiques encore roulants, notamment ceux exposés dans les musées de Motegi ou Suzuka.

    Entre hommage et marketing chirurgical

    Cette initiative s’inscrit à la fois dans une logique d’affirmation de l’identité sportive de Honda et dans un savant coup de promotion au moment où la marque consolide son retour en F1. Accroître la valeur patrimoniale perçue du constructeur, tout en en valorisant son héritage technique — un marketing subtil, à la fois noble et parfaitement calculé.

    Posséder une pièce du moteur de Senna, c’est bien plus qu’un souvenir : c’est s’ancrer dans la légende d’un pilote, d’une marque, et d’une époque où F1 rimait avec prouesse mécanique, audace et humanité.

  • Quand la blague tourne au drame : Dominique Chapatte blessé par une caméra cachée de Michael Youn

    Quand la blague tourne au drame : Dominique Chapatte blessé par une caméra cachée de Michael Youn

    Une anecdote désormais bien connue a refait surface depuis que Michael Youn en parlent lors de ses apparitions chez des YouTubeurs : l’un de ses canulars du Morning Live a coûté une fracture à Dominique Chapatte, animateur emblématique de Turbo sur M6. Voici la vérité derrière cette histoire, racontée par l’intéressé et confirmée par plusieurs médias.

    Une caméra cachée devenue fardeau

    Lors d’une édition bon enfant de la conférence de rentrée de M6, l’équipe du Morning Live—dont Michael Youn, Vincent Desagnat et Benjamin Morgaine faisaient partie—avait décidé de piéger plusieurs animateurs. Pour Chapatte, l’idée était simple : jouer les policiers à moto et l’interpeller à la sortie des studios. Selon le récit de Youn :

    « Pendant qu’il va donner son identité à un autre flic, je rentre dans sa voiture et je lui vole. Malheureusement, la vitre était ouverte et il s’est accroché à la vitre. »

    Le comique a poursuivi son chemin… entraînant Chapatte dans un accident inopiné, qui a conduit à une fracture de l’épaule et une hospitalisation.

    Un regret qui perdure

    Michael Youn l’a reconnu : il a pensé avant tout à l’effet de la séquence à la télévision — et bien trop peu à la sécurité du présentateur. Le geste qui a profondément écorné leur relation n’est pas la plaisanterie, mais le fait de ne jamais s’être rendu à l’hôpital pour présenter ses excuses. Selon lui, Chapatte reste amer — à juste titre.

    « Il m’en veut encore, à raison. Il ne m’en voulait pas pour la caméra cachée, mais parce que je ne m’étais pas déplacé à l’hôpital pour le voir ».

    Dans les interviews, Michael Youn formule généralement ses excuses : « Bonjour Dominique, je voulais te dire que je suis désolé. Même si tu m’en veux encore. »

    Une leçon à méditer

    Au-delà de l’anecdote, cet épisode invite à réfléchir : jusqu’où peut-on aller dans les caméras cachées ? Et comment arbitrer entre volonté de spectacle et responsabilité humaine ? L’incident avec Chapatte est un bon rappel qu’une blague peut avoir des conséquences physiques graves et laisser des traces dans la vie réelle.

    Le récit ne date pas d’hier : Michael Youn raconte cet incident comme un souvenir intégré à son passé, mais les blessures — physiques et émotionnelles — demeurent.

  • 260 BMW neuves… à détruire : quand la rigueur prime sur la raison commerciale

    260 BMW neuves… à détruire : quand la rigueur prime sur la raison commerciale

    En matière automobile, la ligne entre bon sens économique et rigueur industrielle peut parfois sembler absurde. L’affaire des 260 BMW stockées sur le Fremantle Highway, ce cargo ravagé par les flammes en 2023 au large d’Ameland, en est une illustration saisissante. Ces voitures, pourtant considérées comme indemnes de tout dommage majeur, devront être détruites. Décision de justice. Volonté du constructeur. Et incompréhension de la part de ceux qui ont cru flairer une bonne affaire.

    Retour sur une histoire aussi fascinante que révélatrice des tensions entre logique industrielle, sécurité des clients, et réalité du marché de l’occasion.

    Quand le business flaire la bonne affaire

    Tout commence en 2023. Le Fremantle Highway, cargo battant pavillon panaméen, prend feu au nord des Pays-Bas. À son bord : près de 3 800 véhicules, dont une flotte de BMW toutes neuves. Si la majorité part littéralement en fumée, certaines autos stationnées sur le pont supérieur semblent miraculeusement épargnées. Pas de flammes, pas d’eau d’extinction, seulement quelques traces de suie.

    Deux entrepreneurs néerlandais, Eric Bakker (3B Exclusief) et Sam Peinemann, flairent le bon coup. Ils acquièrent 260 BMW neuves pour un total de 5,1 millions d’euros. Soit moins de 20 000 euros par véhicule. Une aubaine, pensent-ils, pour des modèles invendables par BMW, mais tout à fait fonctionnels.

    BMW dit non : sécurité et réputation avant tout

    Mais voilà. BMW n’entend pas laisser ces voitures entrer sur le marché. Le constructeur entame une procédure judiciaire pour empêcher leur revente. Selon la marque bavaroise, ces voitures ont été exposées à des températures extrêmes et à des émanations toxiques. Elles ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme conformes aux standards de qualité attendus d’une voiture neuve. En clair : l’apparence extérieure ne dit rien des potentiels dommages invisibles.

    Autre argument invoqué par le constructeur : ces voitures étaient destinées au marché taïwanais. Si elles semblent identiques aux modèles européens, elles présentent des différences techniques — notamment en matière d’émissions — qui les rendent illégales sur le Vieux Continent sans modifications coûteuses et complexes.

    Des experts contre des ingénieurs

    De leur côté, les deux acheteurs n’ont pas chômé. Ils font appel à des experts indépendants, font analyser les véhicules, documentent l’absence de dommages mécaniques ou électroniques, et insistent sur le fait que les voitures n’ont ni subi d’incendie, ni de dégâts des eaux. Mais le tribunal tranche : même sans preuve directe de dommages, le risque existe. Et ce risque suffit à justifier la destruction des véhicules.

    Cette décision repose aussi sur une question d’image. Laisser des véhicules potentiellement défectueux porter l’hélice bleue de BMW sur nos routes serait une prise de risque pour la réputation de la marque. Une réputation bâtie sur la précision et la fiabilité — parfois à coups de rigueur perçue comme excessive.

    Un verdict lourd de conséquences

    En statuant contre les deux entrepreneurs, la justice néerlandaise a validé la position du constructeur. Sauf revirement en appel — les plaignants ont d’ores et déjà indiqué qu’ils comptaient se battre — ces 260 BMW, dont certaines encore sous film de protection, finiront à la casse. Pas de marché parallèle. Pas de bon coup. Juste une perte sèche de plus de 5 millions d’euros pour ceux qui croyaient avoir trouvé une niche.

    Entre gaspillage industriel et logique de marque

    Cette affaire soulève une question plus vaste : dans quelle mesure une marque peut-elle contrôler le destin d’un produit qui, juridiquement, ne lui appartient plus ? Si l’argument sanitaire ou technique peut s’entendre, n’est-ce pas aussi — ou surtout — un sujet d’image ? Dans un monde où les constructeurs se battent sur le terrain du luxe, de la perfection perçue, et où la fidélité client est parfois aussi fragile qu’un circuit imprimé post-incendie, la réponse est sans doute oui.

    Et si le vrai sujet était ailleurs ?

    Au fond, cette affaire dépasse le simple cas des 260 voitures. Elle illustre la difficulté de concilier industrie mondialisée, réglementations disparates, exigence de marque et réflexes commerciaux. Elle interroge aussi la manière dont les marques peuvent (ou doivent) gérer les incidents logistiques, les catastrophes industrielles, et l’avenir de produits “hors-norme”.

    Mais elle montre aussi que la rationalité économique — vendre des véhicules certes légèrement salis, mais intacts — peut s’écraser face à la rationalité émotionnelle d’un blason. Une BMW ne peut être que parfaite. Ou ne doit pas être.

  • McLaren : le mirage d’un avenir électrique

    McLaren : le mirage d’un avenir électrique

    Que se passe-t-il chez McLaren ? La question taraude les passionnés, alors que la marque de Woking vient de passer sous pavillon Forseven, une entreprise aussi mystérieuse qu’ambitieuse. Derrière le vernis des succès en Formule 1 et le retour en endurance se cache une réalité plus fragile : celle d’un constructeur de voitures de route à la dérive, pris entre une gamme saturée, des pertes colossales et des investisseurs aux desseins encore flous.

    À première vue, tout semble aller pour le mieux chez McLaren. L’écurie de Formule 1 est de retour aux avant-postes, portée par Lando Norris et Oscar Piastri. Le constructeur a annoncé son retour aux 24 Heures du Mans, en catégorie Hypercar. La 750S, dernier rejeton de la gamme Super Series, s’impose comme l’une des meilleures supercars de sa génération. Et l’histoire de la marque, de Bruce McLaren à Ayrton Senna, continue de faire rêver.

    Mais sous cette surface brillante, la mécanique grince. McLaren Automotive, la branche qui produit les voitures de route, vient d’être rachetée par Forseven, une start-up britannique soutenue par le fonds d’investissement CYVN Holdings, lié au gouvernement d’Abu Dhabi. Une prise de contrôle totale, après que Mumtalakat (le fonds souverain de Bahreïn) a jeté l’éponge, non sans avoir injecté près de 1,8 milliard d’euros dans la machine.

    Forseven : un inconnu au volant

    Et c’est là que tout se complique. Car Forseven n’a, à ce jour, pas produit la moindre voiture. L’entreprise compte environ 700 salariés, majoritairement issus de Jaguar Land Rover, et s’appuie sur un partenariat technologique avec le constructeur chinois Nio. Sur le papier, Forseven promet de conjuguer « luxe britannique et technologies visionnaires »… Mais dans les faits, la greffe entre McLaren et ce néo-constructeur électrique interroge.

    L’objectif affiché ? Réorienter McLaren vers une offre entièrement électrique, avec en ligne de mire un SUV électrique, selon des rumeurs de plus en plus insistantes. Un projet qui va à contre-courant de tout ce que représente McLaren : la légèreté, la pureté de conduite, la performance sans artifice.

    Une stratégie à la dérive

    Pourtant, il fallait bien faire quelque chose. Car depuis sa naissance en 2011, McLaren Automotive n’a jamais dégagé de bénéfices durables. Pire encore, la marque a accumulé les erreurs stratégiques :

    • Une prolifération de modèles, avec peu de différenciation réelle.
    • Des problèmes de fiabilité persistants, entachant l’image de marque.
    • Une ligne stylistique figée, où les modèles peinent à se distinguer visuellement.
    • Et surtout, une valeur résiduelle en chute libre, bien inférieure à celle des modèles comparables chez Ferrari ou Porsche.

    Résultat : même une supercar brillante comme la 750S peut se retrouver sur le marché de l’occasion à moitié prix quelques semaines après sa sortie. Un désastre pour la fidélisation des clients et la perception de la marque.

    Vendre les bijoux de famille

    La situation était devenue si critique que McLaren a dû se résoudre à vendre son emblématique McLaren Technology Centre, avant de le louer à nouveau pour continuer ses activités. Un acte fort, presque symbolique, qui rappelle à quel point la trésorerie du constructeur était exsangue.

    Et pendant ce temps, les projets les plus audacieux – comme l’Artura hybride – peinent à convaincre. Lancée avec ambition, la GT hybride souffre de retards de développement, de problèmes techniques et d’un positionnement flou entre sport et grand tourisme.

    Et si Zak Brown était la solution ?

    Dans ce contexte trouble, un nom revient sans cesse : Zak Brown. L’homme qui a redonné vie à l’écurie de Formule 1 McLaren pourrait-il incarner le renouveau de la branche automobile ? Passionné d’automobile, visionnaire en stratégie, Zak Brown a su, en six ans, remettre l’équipe sur les rails, avec patience, méthode et un goût certain pour les paris gagnants.

    Certes, redresser McLaren Automotive serait une entreprise d’une toute autre ampleur. Mais Brown a déjà prouvé sa capacité à fédérer, à prendre des décisions audacieuses et à insuffler une nouvelle dynamique. Il comprend l’ADN McLaren mieux que quiconque, et sa légitimité interne n’est plus à démontrer.

    Un avenir qui reste à écrire

    Forseven promet un plan de relance « mené à une vitesse fulgurante ». Mais est-ce la bonne voie ? Lancer un SUV électrique, dans un segment saturé et en contradiction avec les fondements même de la marque, ressemble à un pansement sur une plaie béante. Sans une refonte profonde de la stratégie produit, sans rétablissement de la confiance client et sans repositionnement clair, le risque est grand de voir McLaren se perdre dans une quête identitaire sans issue.

    Le temps presse. Et dans les paddocks comme sur la route, on attend désormais un signal fort. Un vrai projet. Une vraie vision. Et peut-être, une voix familière pour dire : « J’ai un plan. »

  • Italdesign i2C : l’Indonésie trace sa route

    Italdesign i2C : l’Indonésie trace sa route

    L’histoire de l’automobile s’est souvent écrite sous l’impulsion d’une volonté politique. Des 2CV aux Trabant, en passant par la Tata Nano ou les Pick-Up Mahindra, nombreux sont les véhicules à avoir incarné les desseins d’un État. C’est aujourd’hui l’Indonésie qui entre dans la danse avec un projet ambitieux confié à un acteur reconnu : Italdesign. À l’occasion du salon GIIAS 2025, le bureau de design turinois dévoile les contours de la première voiture de tourisme indigène indonésienne, un concept baptisé Project i2C.

    Un projet au croisement de la culture, de la technologie et de la souveraineté industrielle

    Dans un paysage automobile dominé par les constructeurs japonais – Toyota, Daihatsu, Honda, Mitsubishi, Suzuki – et où la montée en puissance des marques chinoises comme BYD se fait de plus en plus visible, le gouvernement central indonésien entend reprendre la main. Il s’agit d’initier une production locale de véhicules, en commençant par un modèle destiné aux institutions, mais conçu pour préfigurer une offre plus large à l’échelle nationale. Un SUV 100 % électrique, développé avec la volonté de refléter l’identité culturelle plurielle de l’archipel tout en répondant aux enjeux contemporains de mobilité durable.

    Le programme i2C ne se limite pas à l’objet automobile. Il s’affirme comme un symbole d’unité nationale, dans un pays aux milliers d’îles et aux centaines de groupes ethniques. Son acronyme – Indigenous Indonesian Car – résume toute l’ambition du projet : une voiture créée par et pour les Indonésiens, en mêlant savoir-faire local et expertise internationale.

    Italdesign, artisan d’une renaissance industrielle

    C’est à Italdesign qu’a été confié le soin de concrétiser cette vision. L’entreprise fondée par Giorgetto Giugiaro, désormais intégrée au groupe Volkswagen via Audi, n’en est pas à son coup d’essai. On lui doit déjà des projets structurants pour Hyundai (Pony), Daewoo (Matiz), Vinfast (Lux A et Lux SA) ou encore Voyah (Free).

    Pour Andrea Porta, business developer chez Italdesign, « le projet i2C est une étape essentielle dans la stratégie industrielle de l’Indonésie. Il marque le début d’une collaboration à long terme fondée sur des objectifs communs. »

    Le design a été mené en étroite coopération avec des ingénieurs indonésiens, encadrés par les équipes turinoises. Un prototype grandeur nature, réalisé en clay model selon la tradition des carrossiers italiens, a été présenté sur le stand SN2 du salon GAIKINDO Indonesia International Auto Show (GIIAS), organisé du 24 juillet au 3 août 2025 à BSD City.

    Un style enraciné dans la culture indonésienne

    Le véhicule se présente sous la forme d’un SUV familial 6/7 places, basé sur une plateforme électrique existante. L’objectif est de garantir une industrialisation rapide, en capitalisant sur une architecture éprouvée. Mais au-delà de l’efficience technique, c’est l’esthétique qui frappe : des volumes boxy, une silhouette solide, des surfaces nettes et tendues… L’i2C affiche une présence forte, pensée pour refléter à la fois l’élégance et la robustesse.

    L’élément culturel est omniprésent. Le design s’inspire du Garuda, oiseau mythique symbole de sagesse et de souveraineté, déjà utilisé dans l’emblème national. Il est évoqué à travers le traitement du capot et des ailes avant, conférant une prestance royale à l’ensemble. À bord, le dessin des panneaux de porte ou des assises évoque les motifs de batik, l’art textile traditionnel indonésien, traité ici dans un langage graphique contemporain.

    Le mobilier intérieur se distingue par sa sobriété fonctionnelle, dans un esprit presque japonais : lignes tendues, commandes réduites, harmonie des matériaux. Quelques touches affirmées viennent toutefois apporter du relief à cet ensemble rationnel, comme les surpiqûres colorées ou les incrustations de bois teinté. Une manière de combiner modernité, patrimoine et efficacité dans un même habitacle.

    Un projet politique avant d’être industriel

    L’i2C se veut le prélude à une gamme de véhicules conçus localement, en lien avec la vision du président indonésien Prabowo Subianto. Le développement est piloté par PT TMI (Teknologi Mobilitas Indonesia), une entité étatique chargée de structurer la filière automobile nationale autour des mobilités innovantes.

    Pour Harsusanto, président de PT TMI, « cette collaboration est une étape clé pour démontrer le potentiel de nos compétences et traduire en actions concrètes la vision présidentielle d’une mobilité propre et indépendante. »

    Une version définitive du concept est attendue pour l’édition 2026 du salon GIIAS, avec l’ambition affichée de lancer une production nationale à moyen terme. La voiture pourrait alors servir non seulement les usages gouvernementaux, mais également inaugurer une offre civile en réponse aux besoins de mobilité locale.

    Quand le design devient un vecteur d’identité

    Avec i2C, Italdesign prouve une nouvelle fois sa capacité à conjuguer création formelle, pertinence stratégique et enracinement culturel. Le projet va bien au-delà du simple exercice de style : il s’inscrit dans une démarche géopolitique, industrielle et sociétale, où la voiture devient un ambassadeur roulant de l’identité indonésienne.

    Une ambition qui rappelle à quel point l’automobile reste un objet politique, même à l’heure de la transition électrique. Et si l’avenir passait aussi par une relocalisation du design ?

  • Renault : un choix très politique pour une trajectoire de plus en plus stratégique

    Renault : un choix très politique pour une trajectoire de plus en plus stratégique

    En apparence, la nomination de François Provost à la tête du groupe Renault semble avoir suivi un processus rationnel, méthodique, presque « textbook ». Un dirigeant expérimenté, passé par la Corée, la Chine, les partenariats stratégiques, doté d’une solide connaissance interne du groupe, et plébiscité à l’unanimité par le comité de sélection. Pourtant, derrière cette façade bien huilée, c’est un signal très politique que Renault vient d’envoyer. Une nomination aux airs de message adressé autant aux partenaires qu’aux actionnaires, à l’État qu’aux concurrents. Et peut-être à Luca de Meo lui-même.

    Une sidération… et une réaction

    Le 15 juin dernier, lorsque Luca de Meo annonce brutalement sa démission aux membres du conseil d’administration — convoqués en urgence la veille — le constructeur entre dans une séquence imprévue, tendue, mais conduite tambour battant. L’onde de choc est forte : l’action chute de 10 %, les états-majors s’agitent, les actionnaires retiennent leur souffle.

    De Meo, que l’on croyait durablement installé à la tête de Renault, quitte le navire après seulement quatre années à la barre. En coulisses, son flirt avec Stellantis et la perspective de succéder à Carlos Tavares avaient alimenté les rumeurs. L’opportunité manquée, il semble avoir préféré écrire un nouveau chapitre hors du secteur automobile, laissant le groupe qu’il avait partiellement redressé devant une équation délicate : maintenir le cap sans tout remettre en question.

    Une transition éclair

    Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration, a tenu à éviter un vide managérial prolongé. Dans le souvenir des six mois d’intérim chez Stellantis, Renault choisit l’ultra-réactivité. Deux cabinets de recrutement sont missionnés. Une première sélection rapide permet de distinguer cinq profils, dont deux sérieux candidats internes : Denis Le Vot (Dacia) et François Provost (achats et partenariats). Un externe, Maxime Picat, récemment débarqué de Stellantis, entre dans la danse… mais sa candidature est vite relativisée. Renault n’entend pas être un lot de consolation.

    En trois semaines, les huit membres du comité de sélection auditionnent les finalistes. Parmi eux, un représentant de l’État, Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations. Et c’est là que le processus, aussi méthodique soit-il, prend une tournure politique.

    L’homme des partenariats… et des ministères

    François Provost coche toutes les cases de la stabilité stratégique. Moins flamboyant que de Meo, moins charismatique peut-être que Le Vot, il séduit par sa solidité, son expérience internationale, son entregent avec les partenaires industriels. Mais c’est surtout son passé qui retient l’attention : Bercy, cabinets ministériels, relation fluide avec la puissance publique. Un profil rare dans un groupe où l’État reste le premier actionnaire avec 15 % du capital et des droits de vote.

    Le message est limpide : Renault redevient un sujet d’État. Alors que les transitions énergétiques, industrielles et géopolitiques imposent une vigilance accrue sur l’autonomie technologique, le tissu industriel français et l’emploi, nommer un dirigeant « techno-compatible » avec la sphère publique est tout sauf anodin.

    En pleine restructuration autour de la scission d’Ampere, avec Nissan en embuscade, le spectre de nouvelles alliances (voire de nouvelles cessions) plane toujours. Avoir à sa tête un homme qui « sait parler à l’État », selon les confidences de plusieurs administrateurs, est un choix stratégique à haute valeur diplomatique.

    Renault, entreprise publique en habits de capitaliste

    Depuis l’ère Ghosn, Renault tente de concilier logique industrielle et impératifs politiques. Luca de Meo avait imposé une vision audacieuse, parfois clivante, mais ambitieuse : relance stylistique (R5, Scenic Vision), électrification accélérée, revalorisation de la marque par une pseudo ouverture à des partenaires étrangers. Son départ soudain laisse un vide que Provost ne comblera pas par le charisme, mais par la cohérence.

    Car au fond, Renault ne cherche pas un visionnaire. Elle cherche un stabilisateur. Quelqu’un qui maîtrise les équilibres subtils entre État, partenaires japonais, ambitions européennes et exigences financières. À ce titre, François Provost pourrait bien être le parfait « homme de compromis », à l’aise sur les bancs de Bercy comme dans les salons de Tokyo.

    Un avenir à surveiller de très près

    En filigrane, une interrogation demeure : François Provost est-il là pour durer ? À 56 ans, il a l’âge pour s’inscrire dans le temps long. Mais ses liens étroits avec l’appareil d’État nourrissent déjà des spéculations sur une Renault qui deviendrait un outil politique assumé, au moment où l’Europe cherche à renforcer sa souveraineté industrielle. Ce choix augure-t-il d’un rapprochement plus clair avec l’État stratège ? D’un repli prudent sur les fondamentaux français du groupe ? Ou au contraire, d’une diplomatie industrielle tous azimuts avec l’Asie, les Amériques et les partenaires européens ? Dans dix ans, Renault sera-t-il contrôlé par Geely, ou Geely aura-t-il quitté le Groupe Renault et ses filiales ?

    Une chose est sûre : Renault, plus que jamais, sera scrutée comme un acteur de l’équilibre géopolitique européen. Et son nouveau capitaine ne devra pas seulement conduire une entreprise. Il devra aussi manœuvrer dans un théâtre d’influence où chaque mot compte, chaque geste est interprété, et chaque silence… suspect.

  • Ouninpohja, toujours au sommet du rallye mondial

    Ouninpohja, toujours au sommet du rallye mondial

    Il est des noms qui claquent comme des coups de canon dans l’imaginaire du sport automobile. Des noms qui réveillent les souvenirs, les palpitations, les sueurs froides. Des noms qui incarnent la quintessence d’une discipline. Ouninpohja en fait partie. Mieux, il les surclasse tous.

    Depuis des décennies, cette spéciale du Rallye de Finlande s’est imposée comme la référence absolue du Championnat du Monde des Rallyes. Une épreuve mythique, redoutée, admirée, parfois évitée, mais toujours désirée. Lieu de passage obligé pour tout pilote en quête de grandeur, ce morceau de Finlande centrale fait figure de totem dans la culture du WRC.

    Une route, une légende

    À première vue, rien ne distingue Ouninpohja d’une autre section de route forestière finlandaise. Situé entre Jyväskylä et Tampere, au sud-ouest de Jämsä, le hameau est plongé dans un silence absolu la majeure partie de l’année. Mais fin juillet, ce havre tranquille devient un théâtre de folie mécanique, un autel païen dressé à la gloire de la vitesse et du courage.

    Car Ouninpohja n’est pas une spéciale comme les autres. Ni par sa topographie, ni par son exigence. Chaque mètre y est un test. Chaque virage, une épreuve. Chaque bosse, une mise en orbite. Et chaque saut est un pari entre maîtrise et inconscience. Les copilotes y déversent des kilomètres de notes. Les pilotes, eux, ne doivent pas écouter : ils doivent croire.

    Ce n’est pas une question de prise de risque. C’est une question de foi.

    La règle qu’il a fallu contourner

    En 2007, Marcus Grönholm boucle les 33 kilomètres de la spéciale en 15’19″8 à 129,16 km/h de moyenne. Un exploit si spectaculaire qu’il pousse la FIA à adapter son règlement : la limite fixée à 130 km/h de moyenne dans les spéciales est levée… mais uniquement pour le WRC. Une pirouette réglementaire pour éviter que l’épreuve ne soit sacrifiée sur l’autel de la prudence.

    Depuis, Ouninpohja a connu des versions plus courtes, des alternances de sens, parfois même des absences au calendrier. Mais chaque fois qu’elle revient, c’est une onde de choc. Les spectateurs accourent. Les pilotes, eux, retiennent leur souffle. Car même si d’autres spéciales sont plus rapides, aucune n’est aussi complète. Aucune ne demande autant de tout : de vitesse, de précision, d’engagement, de confiance — et parfois, d’abandon.

    Une géographie de l’extrême

    Là-bas, la terre est ferme, dense, quasi-bitumineuse. Ce ne sont pas les glissades qui effraient, mais les bonds. Car Ouninpohja se vit en trois dimensions. Il y a les virages, il y a les vitesses, mais il y a surtout les bosses. Pas les petits dos d’âne des routes européennes : de véritables tremplins naturels, capables de catapulter une WRC à des hauteurs où seule l’adhérence des souvenirs les ramène au sol.

    Dans sa version longue, les équipages s’envolent plus de 70 fois. En 2003, Markko Märtin a volé sur 57 mètres à 171 km/h. Pour du vrai. Sans filet. Sans publicités. Sans sponsors. Juste pour aller vite. Et arriver entier.

    Aujourd’hui encore, ces sauts n’ont pas perdu leur magie. Ils continuent de faire frissonner, de déséquilibrer, d’émerveiller. Et même les plus grands s’y brûlent les ailes.

    L’école des champions

    Il n’est pas rare d’entendre que gagner Ouninpohja vaut un titre. Et ceux qui l’ont fait ne sont jamais des inconnus. Sébastien Ogier s’y est offert un chrono d’anthologie en 2015 avec sa Polo R WRC : 15’08’’9 à plus de 130 km/h de moyenne. Un record qui tenait plus de l’acte de foi que de la stratégie.

    Cette performance absolue avait été précédée, puis suivie, de drames sportifs : Mads Ostberg y avait perdu la deuxième place, Kris Meeke y avait brisé sa Citroën dans une série de tonneaux dantesques. Rien n’est anodin à Ouninpohja. Chaque passage est une légende en germe.

    Aujourd’hui, alors que les Rally continuent d’explorer les limites du possible, Ouninpohja reste un juge de paix. Le boost électrique n’y change rien : seule compte l’osmose entre le volant, le baquet et la trajectoire. Et les Finlandais, bien sûr, gardent une longueur d’avance à domicile.

    La bosse de la maison jaune

    S’il ne fallait retenir qu’un lieu, ce serait celui-là : la fameuse bosse devant la maison jaune, à 7,1 kilomètres du départ. Une courbe insignifiante sur le papier, mais que les WRC abordent à fond absolu, en pleine montée en régime, avant un saut à couper le souffle.

    Ici, Richard Burns perdit sa bataille face à Marcus Grönholm en 2002. Ici, les spectateurs savent que le rallye bascule. Pas un angle ne permet de rendre compte de l’intensité du moment. Aucun objectif photo ne peut restituer l’émotion brute du saut. Il faut le vivre. Le sentir vibrer dans sa cage thoracique. Respirer la poussière de l’atterrissage.

    Un bastion qui résiste

    En 2025, Ouninpohja continue d’incarner la fierté d’un peuple. La Finlande, qui a produit plus de champions du monde que n’importe quel autre pays — de Kankkunen à Grönholm, de Mikkola à Mäkinen — voit en cette spéciale son sanctuaire national. Les pilotes étrangers, même les plus titrés, s’y présentent avec humilité.

    Sur les 73 éditions du Rallye de Finlande, les pilotes locaux en ont remporté 55. La France, pourtant forte de Loeb et Ogier, n’a jamais vraiment dominé les débats. L’Espagne, l’Estonie, l’Irlande ont signé des exploits, mais rarement deux années de suite.

    Et cette année encore, on va célébrer les 50 ans du premier passage de Timo Mäkinen. Un Ouninpohja à l’ancienne. Brutal. Sans compromis. Comme un retour aux sources dans un monde trop souvent aseptisé.

    Ouninpohja n’est pas une spéciale. C’est une épreuve initiatique. C’est un cri lancé à 200 km/h dans la forêt. Une prière en langue finlandaise. Et une réponse universelle : le rallye, c’est ici.

  • L’automobile européenne face à son plus grand défi

    L’automobile européenne face à son plus grand défi

    Alors que la révolution électrique s’accélère dans d’autres parties du monde, l’industrie automobile européenne semble engluée dans un entre-deux qui n’a plus lieu d’être. Pendant que les constructeurs asiatiques gagnent du terrain avec des modèles compétitifs et une avance technologique marquée, les marques européennes, longtemps dominantes, donnent l’impression d’avoir raté le virage. La crise actuelle ne relève plus du simple cycle économique : elle traduit une profonde remise en cause d’un modèle qui n’a pas su anticiper l’inévitable.

    Rentabilité d’abord, vision ensuite ?

    Les années post-COVID avaient été marquées par une embellie paradoxale. Moins de volumes, certes, mais des marges record grâce à la montée en gamme, à la rareté des produits et à une stratégie centrée sur les véhicules les plus rémunérateurs. Beaucoup d’acteurs se sont félicités d’une rentabilité inédite dans l’histoire du secteur. Mais ce succès apparent masquait une vulnérabilité croissante. En privilégiant les SUV thermiques à forte marge, les marques européennes ont reporté les investissements massifs qu’exigeait la transition électrique.

    Aujourd’hui, les signaux d’alerte s’accumulent. Les stocks invendus gonflent dans les réseaux, les remises reviennent en force, et les résultats financiers commencent à s’effriter. Renault, par exemple, a dû passer d’importantes dépréciations sur sa participation dans Nissan, pris lui aussi dans la tourmente. Ce ne sont plus des alertes conjoncturelles, mais les symptômes d’un dérèglement structurel.

    La transition ratée

    L’Union européenne a fixé le cap : l’interdiction des ventes de véhicules à cylindres neufs à partir de 2035. Si cette échéance est perçue par certains industriels comme une menace, il faut rappeler qu’elle a été connue de longue date. Quinze ans : c’était le temps laissé pour repenser toute la chaîne de valeur, de la R&D à la distribution. Ce délai, la Chine l’a mis à profit pour bâtir un écosystème électrique complet. En Europe, on a préféré temporiser.

    Plutôt que d’investir dans une électrification accessible, les constructeurs ont misé sur la rentabilité immédiate, s’enfermant dans une logique haut de gamme peu compatible avec les réalités économiques d’une grande partie des consommateurs. Résultat : des véhicules électriques encore trop chers, une gamme souvent incomplète, et des ventes poussives dans les segments où la croissance est pourtant la plus forte. Mais la plus grande réalité, c’est le manque d’éducation de la population qui ne voit pas l’intérêt de participer pleinement à la transition technologique.

    Pendant ce temps, les marques chinoises multiplient les offensives : produits bien équipés, prix imbattables, maîtrise de la technologie batterie et intégration logicielle de pointe. Tout ça grâce à un fait : leurs clients ont voulu ce changement. La menace n’est plus théorique — elle est sur les quais européens, dans les concessions, et bientôt sur les routes.

    Le faux procès fait à Bruxelles

    Face à ces bouleversements, une partie des industriels se tourne vers les institutions européennes pour dénoncer un cadre jugé trop rigide, trop rapide, trop politique. L’interdiction du thermique est présentée comme un diktat technocratique déconnecté des réalités de terrain. Ce discours trouve des relais puissants, au point que certaines réglementations sur les émissions de CO₂ ont été repoussées de 2025 à 2027, dans un effort pour donner de l’oxygène à un secteur essoufflé.

    Mais cette posture défensive est à double tranchant. Car dans les pays où des conditions favorables ont été mises en place — fiscalité incitative, bornes de recharge en nombre suffisant, électricité à prix maîtrisé — la progression des ventes de véhicules électriques dépasse largement les attentes. La France, notamment. C’est donc que la demande est là, à condition de lui offrir les bons produits au bon prix. C’est moins la réglementation que l’offre qui fait défaut.

    Une stratégie de repli dangereuse

    Les espoirs de prolongation des moteurs à cylindres, même habillés de technologies hybrides sophistiquées, ne résoudront rien à moyen terme. Le reste du monde n’attendra pas l’Europe pour innover. Le discours rétrograde sur la « technologie éprouvée » ou « l’absence de maturité de l’électrique » ne tient plus face à la réalité du marché mondial. Le risque, en cherchant à sauver à tout prix le modèle du passé, est de s’exclure des nouvelles chaînes de valeur, d’accélérer la désindustrialisation et de perdre définitivement le lien avec les jeunes générations d’automobilistes.

    L’Europe a encore des cartes à jouer

    La situation n’est pas irréversible. L’Europe dispose d’ingénieurs brillants, de savoir-faire industriels puissants, de marques à forte notoriété. Mais elle doit changer d’approche. Cela suppose de mettre fin aux demi-mesures, de penser des véhicules électriques pour le plus grand nombre, de repenser la relation entre produit, usage et service, et d’investir massivement dans les infrastructures et l’amont industriel, en particulier sur les batteries.

    Ce n’est pas une course contre la Chine ou contre les États-Unis. C’est une course contre la montre pour réinventer une industrie européenne crédible, résiliente, désirable. Tant que les décisions seront dictées par le seul impératif de rentabilité trimestrielle, les constructeurs européens continueront de perdre du terrain.

    Il est temps de regarder la réalité en face : le statu quo est devenu la plus grande menace pour l’avenir de l’automobile européenne. Et le moteur sera l’intelligence de la clientèle.

  • Adrian Mardell, le prix du pari Jaguar

    Adrian Mardell, le prix du pari Jaguar

    Après 35 ans de carrière au sein de Jaguar Land Rover, dont trois à la tête de l’entreprise, Adrian Mardell quitte le navire. Officiellement, le départ se fait « à sa demande ». Officieusement, il consacre l’échec d’une stratégie aussi ambitieuse que clivante, censée faire de Jaguar une marque électrique d’avant-garde, mais qui l’a laissée en état de mort clinique.

    Les chiffres sont sans appel. En juin 2025, Jaguar n’a vendu que 37 voitures en Europe. Un chiffre sidérant pour une marque jadis associée aux salons feutrés de Mayfair et aux allées de Goodwood. L’homme qui a suspendu toute production Jaguar pour mieux faire table rase est aujourd’hui rattrapé par une réalité économique impitoyable.

    Une méthode radicale

    Adrian Mardell n’a jamais été un homme de compromis. Lorsqu’il prend les rênes de JLR en 2022, dans un contexte post-COVID encore très incertain, il hérite d’une situation fragile : une gamme vieillissante, une dépendance excessive au diesel, une image de marque confuse. Dès lors, il imagine un plan de redressement tranché, centré sur la montée en gamme de Range Rover et la réinvention complète de Jaguar, transformée en une marque électrique ultra-premium.

    Le concept était clair : arrêter la production de modèles existants, repartir d’une feuille blanche, repenser le design, la stratégie produit et même l’identité visuelle. Exit la silhouette bondissante du félin, remplacée par un logo typographique épuré, froid, presque clinique. L’ADN de Jaguar s’en est retrouvé lessivé, et avec lui, l’attachement de nombreux passionnés.

    Cette politique du tout ou rien, rare dans l’industrie automobile, a conduit à une situation inédite : aucune Jaguar neuve à vendre dans les showrooms pendant près de deux ans. À contre-courant des tendances, alors que la plupart des marques tentent d’assurer une transition en douceur vers l’électrique, Mardell a préféré une pause brutale. Or, dans un marché en tension, où la fidélité client est difficile à maintenir, cette stratégie a rapidement viré au cauchemar commercial.

    Une époque plus complexe qu’annoncée

    La vision d’Adrian Mardell n’était pas sans logique. En repositionnant Jaguar comme une marque de niche à très forte valeur ajoutée, il espérait reproduire le modèle d’un constructeur comme Aston Martin ou Bentley, mais en version électrique. Le choix d’une berline GT comme premier modèle de la nouvelle ère allait dans ce sens, tout comme les ambitions stylistiques confiées à Gerry McGovern, déjà auteur du repositionnement de Range Rover.

    Mais la conjoncture n’a pas aidé. La croissance des véhicules électriques ralentit en Europe, les tarifs douaniers imposés par l’administration Trump compliquent les exportations, et la montée en puissance de marques chinoises rend le segment plus concurrentiel que jamais. Jaguar, sans produit, sans visibilité, sans réseau adapté, est restée figée pendant que le monde changeait.

    Quant à Land Rover, la maison-mère, elle a vu ses propres marges fragilisées par des problèmes de sécurité persistants : les Range Rover et Discovery sont devenus des cibles privilégiées pour les voleurs au Royaume-Uni, obligeant l’entreprise à investir lourdement dans des correctifs techniques et dans la gestion de son image, écornée par des faits divers à répétition.

    L’ombre de Thierry Bolloré

    Ironie de l’histoire, le plan Reimagine qui sert de base à la stratégie de Mardell avait été conçu par Thierry Bolloré, son prédécesseur, avant sa démission en 2022. L’ancien patron de Renault n’avait pas eu le temps de le mettre en œuvre, laissant à Mardell le soin d’exécuter une vision qu’il n’avait pas initiée, mais qu’il a endossée avec une rigueur presque dogmatique.

    Loin de se contenter de réorganiser, Mardell a voulu incarner un changement de culture. Il a rationalisé les sites de production, orienté les investissements vers la plateforme électrique maison (probablement partagée avec Tata), coupé dans les effectifs, réorganisé les fonctions design et marketing. Mais sans produits à livrer, sans concept-cars pour maintenir le lien, sans storytelling fédérateur, la marque a sombré dans le silence.

    Un départ qui en dit long

    Le communiqué de presse est resté laconique. « Adrian Mardell a exprimé son souhait de se mettre en retrait de JLR. Son successeur sera annoncé en temps voulu. » En creux, on lit le constat d’un échec stratégique que Tata Motors ne pouvait plus prolonger sans conséquence.

    Le cas Mardell illustre un dilemme bien connu dans l’industrie : faut-il transformer en profondeur au risque de casser l’existant, ou maintenir l’activité pour amortir la transition ? La première option séduit sur le papier, surtout quand les résultats financiers à court terme paraissent encourageants (ce fut le cas côté Range Rover). Mais elle expose à une perte de substance. Jaguar, en l’espace de deux ans, a perdu sa clientèle, sa mémoire, son désirabilité.

    Quel avenir pour Jaguar ?

    L’avenir reste flou. La fameuse berline électrique promise comme nouveau point de départ ne sera dévoilée qu’à l’été 2026. Trop tard ? Peut-être pas. Mais elle devra non seulement convaincre les amateurs de belle automobile, mais aussi justifier des prix qui devraient rivaliser avec les Porsche Taycan et autres Mercedes EQS — un positionnement exigeant, pour une marque dont l’image a été mise en sommeil.

    Jaguar pourrait renaître. Mais il faudra pour cela un cap plus souple, un dialogue retrouvé avec les passionnés, et des produits qui ne soient pas uniquement conçus pour séduire les investisseurs de Tata. Quant à Adrian Mardell, il quitte la scène avec une forme d’élégance, mais aussi avec la marque d’un stratège dont l’audace n’aura pas résisté aux réalités du marché.

  • L’art de la couverture selon Road & Track

    L’art de la couverture selon Road & Track

    Dans un paysage médiatique saturé d’images tapageuses et d’algorithmes dictant la lisibilité, Road & Track continue de cultiver un art oublié : celui de la couverture pensée, construite, éditorialisée. Depuis sa refonte en 2020 en format grand luxe trimestriel, le vénérable magazine américain s’est engagé dans une démarche esthétique ambitieuse qui fait de chaque numéro un objet à part entière, à mi-chemin entre la presse et le livre de collection. Le succès de cette approche n’est pas dû au hasard : chaque couverture est le fruit d’un travail de direction artistique rigoureux et d’une vision éditoriale assumée.

    Le choc visuel comme promesse

    Ce qui frappe d’abord, c’est la capacité de Road & Track à créer des couvertures qui suscitent à la fois l’émotion et la curiosité. Contrairement à d’autres titres plus traditionnels, qui empilent les superlatifs et multiplient les accroches racoleuses, R&T joue la carte du minimalisme graphique : un visuel fort, souvent centré sur une voiture ou une scène évocatrice, un logo en lettrage sobre, parfois même discret, et un unique titre, parfois même absent. Tout est question d’équilibre entre tension visuelle et respiration typographique.

    Le choix des photos ou des illustrations n’obéit pas à une logique publicitaire, mais à une narration. Ainsi, chaque image de couverture fonctionne comme une ouverture de chapitre : elle annonce une ambiance, une époque, une idée. Que ce soit une Porsche 911 prise au petit matin dans les collines de Californie, une Countach sur fond de néons ou une Bugatti Chiron évoquant un manifeste d’ingénierie, l’intention est toujours de raconter une histoire au premier regard.

    Une direction artistique éditorialisée

    Derrière cette cohérence visuelle se cache la vision du directeur artistique, Scott Olivares, qui supervise l’identité du magazine depuis sa transformation. Diplômé en beaux-arts et photographe à ses heures, Olivares conçoit chaque numéro comme un album thématique. La couverture devient alors une pièce centrale, pensée en lien direct avec le contenu principal, souvent un grand dossier sur une marque, une époque ou une figure mythique de l’automobile.

    Les séances photo sont menées avec une approche quasi cinématographique : lumière naturelle ou recréée, décors choisis avec soin, véhicules sélectionnés pour leur histoire ou leur rareté. La postproduction est minimale, l’objectif étant de préserver l’authenticité du sujet. Le choix du papier et le vernis sélectif renforcent encore la dimension tactile de l’objet. Car ici, l’expérience du lecteur commence avant même l’ouverture du magazine.

    Des références puisées dans la culture automobile et au-delà

    Road & Track assume pleinement une inspiration transversale, puisant autant dans les codes du design automobile que dans ceux de la photographie contemporaine ou de l’édition artistique. Certains numéros rendent hommage à des œuvres de William Eggleston ou de Stephen Shore, d’autres évoquent l’univers graphique du National Geographic ou des publications japonaises comme ENGINE ou カーグラフィック.

    Le magazine évite ainsi l’écueil du simple esthétisme pour atteindre une vraie densité culturelle. Dans une époque où les visuels sont le plus souvent dictés par les impératifs du SEO ou des clics sur les réseaux sociaux, R&T choisit de produire des images pérennes, qui tiennent la distance. Chaque couverture devient ainsi une forme de manifeste silencieux pour une presse automobile haut de gamme, exigeante, presque intemporelle.

    Un modèle viable ?

    Ce positionnement n’est pas sans conséquences sur le modèle économique du magazine. Tiré à quelques dizaines de milliers d’exemplaires seulement, vendu à prix élevé (99 dollars l’abonnement annuel), Road & Track s’adresse à un public trié sur le volet, composé d’amateurs éclairés, de collectionneurs et de professionnels de l’automobile. Ce choix de niche permet une plus grande liberté éditoriale, loin des pressions publicitaires classiques. Certaines marques automobiles ne s’y trompent d’ailleurs pas : figurer dans un dossier de Road & Track devient une forme de reconnaissance esthétique et culturelle, plus précieuse qu’un simple placement produit.

    L’objet comme déclaration

    Au fond, ce que Road & Track réussit à faire avec ses couvertures, c’est à réaffirmer une idée simple mais de plus en plus rare : un magazine peut encore être un objet de désir. Dans un monde saturé d’images instantanées et d’informations périssables, la couverture devient une porte d’entrée vers un autre rythme, une autre manière de parler d’automobile. Ni passéiste ni futuriste, mais fondamentalement exigeante.

    Et à chaque nouveau numéro, on se surprend à se demander non pas quelle voiture est à l’essai, mais quelle image va nous surprendre. Une attente presque analogue à celle des amoureux de vinyles ou de livres rares. L’automobile n’est plus seulement un sujet : elle devient matière à création.

  • L’Europe a tué la petite voiture qu’elle avait inventée

    L’Europe a tué la petite voiture qu’elle avait inventée

    Pendant plus d’un demi-siècle, l’automobile européenne a brillé par sa capacité à produire des voitures petites, ingénieuses et adaptées à un continent dense, urbain et sinueux. Fiat 500, Renault 4, Citroën 2CV, Mini, Peugeot 205, Lancia Ypsilon : autant de best-sellers qui ont incarné une vision populaire de l’automobile, économe en espace, en ressources et en énergie. Aujourd’hui, cette espèce est en voie d’extinction. Et ce sont les Européens eux-mêmes qui l’ont décimée.

    La fin de la citadine thermique

    Dans les gammes actuelles des constructeurs européens, les citadines thermiques ont quasiment disparu. Plus de Peugeot 108, plus de Citroën C1, plus de Ford Ka, plus d’Opel Adam. Même la Volkswagen up!, pourtant plébiscitée pour sa compacité, a quitté les chaînes. Les dernières survivantes s’appellent Fiat Panda ou Hyundai i10, et leur avenir est tout sauf assuré.

    La fin de ces modèles n’est pas une décision purement industrielle. Elle est la conséquence directe d’un empilement de réglementations environnementales et sécuritaires qui rendent la production de petites voitures thermiques économiquement intenable. Des normes d’émissions plus strictes (WLTP, Euro 6d), des équipements de sécurité obligatoires toujours plus nombreux (freinage autonome, maintien de voie, capteurs, caméras, etc.), et une pression constante sur les constructeurs pour électrifier leurs gammes ont conduit à un paradoxe : il est devenu moins coûteux de vendre un SUV de 2 tonnes qu’une citadine d’une tonne à bas prix.

    Le non-sens environnemental

    L’ironie est cruelle. À l’heure où la neutralité carbone est érigée en absolu politique, l’Europe a tué ses voitures les plus sobres. De la conception à la fin de vie, une petite voiture essence reste aujourd’hui l’un des moyens de transport les plus efficaces énergétiquement. Faible masse, petite batterie (quand elle est électrifiée), consommation réduite : leur empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie est souvent inférieure à celle d’un SUV électrique lourd et surdimensionné.

    Mais les réglementations européennes, obsédées par les émissions au pot d’échappement, ignorent cette réalité. Elles favorisent artificiellement les véhicules zéro émission en usage, au détriment d’une évaluation globale. Comme l’ex-PDG de Polestar Thomas Ingenlath l’a régulièrement souligné, l’absence de cadre contraignant sur les émissions du cycle de vie (ACV) biaise profondément la transition écologique du secteur.

    Quand l’Europe oublie ses propres villes

    La question n’est pas seulement technique ou environnementale. Elle est aussi urbaine et culturelle. Comme le rappelait Luca de Meo, ex-apprenti de vente à la découpe de Renault, lors du récent Future of the Car Summit du Financial Times, les rues médiévales de Sienne, Salamanque ou Heidelberg n’ont pas grandi en 20 ans. Et les garages européens n’ont pas gagné de mètres carrés. Pourtant, les voitures ont, elles, largement pris du volume.

    Dans leur course à la mondialisation, les constructeurs européens ont conçu des modèles pensés pour les grands axes américains ou les mégalopoles chinoises, oubliant au passage les réalités locales. La proportion de véhicules de moins de 4 mètres produits par l’industrie européenne est passée de 50 % dans les années 1980 à moins de 5 % aujourd’hui. Un effondrement.

    Face à cette désertion, les consommateurs européens ne sont pas restés passifs. Ils ont progressivement basculé vers les petites japonaises, coréennes et, désormais, chinoises. Des voitures mieux adaptées à leur quotidien, là où l’offre locale s’est évaporée.

    Vers une renaissance ?

    Tout n’est pas perdu. Les constructeurs européens rêvent de voir les contraintes s’assouplir pour donner naissance à des kei-cars du Vieux Continents.

    Mais les conditions de rentabilité d’une petite voiture électrique sont étroites. Et la pression concurrentielle est intense, notamment face aux constructeurs chinois capables de proposer une citadine électrique comme la BYD Seagull à un prix défiant toute concurrence (environ 10 000 € en Chine).

    Repenser les règles du jeu

    Pour que la petite voiture survive — et prospère — en Europe, il ne suffira pas d’en faire une priorité industrielle. Il faudra repenser les règles. Cela peut passer par une fiscalité fondée sur la masse plutôt que sur la motorisation. Par un soutien à la fabrication locale de petites batteries. Par une réglementation qui privilégie la sobriété réelle plutôt que l’abstraction du zéro émission en usage.

    C’est aussi une question d’aménagement du territoire, de sécurité (primaire, pas seulement secondaire), de justice sociale et d’équité entre usagers de la route. Récompenser la compacité, la légèreté, la faible consommation, c’est non seulement favoriser l’innovation automobile, mais aussi rendre les villes plus respirables et les routes plus sûres.

    L’Europe a longtemps été la terre d’élection de la petite voiture. Elle en a fait un art, une industrie, une culture. Il est temps qu’elle s’en souvienne.