Il est des noms qui claquent comme des coups de canon dans l’imaginaire du sport automobile. Des noms qui réveillent les souvenirs, les palpitations, les sueurs froides. Des noms qui incarnent la quintessence d’une discipline. Ouninpohja en fait partie. Mieux, il les surclasse tous.
Depuis des décennies, cette spéciale du Rallye de Finlande s’est imposée comme la référence absolue du Championnat du Monde des Rallyes. Une épreuve mythique, redoutée, admirée, parfois évitée, mais toujours désirée. Lieu de passage obligé pour tout pilote en quête de grandeur, ce morceau de Finlande centrale fait figure de totem dans la culture du WRC.
Une route, une légende
À première vue, rien ne distingue Ouninpohja d’une autre section de route forestière finlandaise. Situé entre Jyväskylä et Tampere, au sud-ouest de Jämsä, le hameau est plongé dans un silence absolu la majeure partie de l’année. Mais fin juillet, ce havre tranquille devient un théâtre de folie mécanique, un autel païen dressé à la gloire de la vitesse et du courage.
Car Ouninpohja n’est pas une spéciale comme les autres. Ni par sa topographie, ni par son exigence. Chaque mètre y est un test. Chaque virage, une épreuve. Chaque bosse, une mise en orbite. Et chaque saut est un pari entre maîtrise et inconscience. Les copilotes y déversent des kilomètres de notes. Les pilotes, eux, ne doivent pas écouter : ils doivent croire.
Ce n’est pas une question de prise de risque. C’est une question de foi.
La règle qu’il a fallu contourner
En 2007, Marcus Grönholm boucle les 33 kilomètres de la spéciale en 15’19″8 à 129,16 km/h de moyenne. Un exploit si spectaculaire qu’il pousse la FIA à adapter son règlement : la limite fixée à 130 km/h de moyenne dans les spéciales est levée… mais uniquement pour le WRC. Une pirouette réglementaire pour éviter que l’épreuve ne soit sacrifiée sur l’autel de la prudence.
Depuis, Ouninpohja a connu des versions plus courtes, des alternances de sens, parfois même des absences au calendrier. Mais chaque fois qu’elle revient, c’est une onde de choc. Les spectateurs accourent. Les pilotes, eux, retiennent leur souffle. Car même si d’autres spéciales sont plus rapides, aucune n’est aussi complète. Aucune ne demande autant de tout : de vitesse, de précision, d’engagement, de confiance — et parfois, d’abandon.
Une géographie de l’extrême
Là-bas, la terre est ferme, dense, quasi-bitumineuse. Ce ne sont pas les glissades qui effraient, mais les bonds. Car Ouninpohja se vit en trois dimensions. Il y a les virages, il y a les vitesses, mais il y a surtout les bosses. Pas les petits dos d’âne des routes européennes : de véritables tremplins naturels, capables de catapulter une WRC à des hauteurs où seule l’adhérence des souvenirs les ramène au sol.
Dans sa version longue, les équipages s’envolent plus de 70 fois. En 2003, Markko Märtin a volé sur 57 mètres à 171 km/h. Pour du vrai. Sans filet. Sans publicités. Sans sponsors. Juste pour aller vite. Et arriver entier.
Aujourd’hui encore, ces sauts n’ont pas perdu leur magie. Ils continuent de faire frissonner, de déséquilibrer, d’émerveiller. Et même les plus grands s’y brûlent les ailes.
L’école des champions
Il n’est pas rare d’entendre que gagner Ouninpohja vaut un titre. Et ceux qui l’ont fait ne sont jamais des inconnus. Sébastien Ogier s’y est offert un chrono d’anthologie en 2015 avec sa Polo R WRC : 15’08’’9 à plus de 130 km/h de moyenne. Un record qui tenait plus de l’acte de foi que de la stratégie.
Cette performance absolue avait été précédée, puis suivie, de drames sportifs : Mads Ostberg y avait perdu la deuxième place, Kris Meeke y avait brisé sa Citroën dans une série de tonneaux dantesques. Rien n’est anodin à Ouninpohja. Chaque passage est une légende en germe.
Aujourd’hui, alors que les Rally continuent d’explorer les limites du possible, Ouninpohja reste un juge de paix. Le boost électrique n’y change rien : seule compte l’osmose entre le volant, le baquet et la trajectoire. Et les Finlandais, bien sûr, gardent une longueur d’avance à domicile.
La bosse de la maison jaune
S’il ne fallait retenir qu’un lieu, ce serait celui-là : la fameuse bosse devant la maison jaune, à 7,1 kilomètres du départ. Une courbe insignifiante sur le papier, mais que les WRC abordent à fond absolu, en pleine montée en régime, avant un saut à couper le souffle.
Ici, Richard Burns perdit sa bataille face à Marcus Grönholm en 2002. Ici, les spectateurs savent que le rallye bascule. Pas un angle ne permet de rendre compte de l’intensité du moment. Aucun objectif photo ne peut restituer l’émotion brute du saut. Il faut le vivre. Le sentir vibrer dans sa cage thoracique. Respirer la poussière de l’atterrissage.
Un bastion qui résiste
En 2025, Ouninpohja continue d’incarner la fierté d’un peuple. La Finlande, qui a produit plus de champions du monde que n’importe quel autre pays — de Kankkunen à Grönholm, de Mikkola à Mäkinen — voit en cette spéciale son sanctuaire national. Les pilotes étrangers, même les plus titrés, s’y présentent avec humilité.
Sur les 73 éditions du Rallye de Finlande, les pilotes locaux en ont remporté 55. La France, pourtant forte de Loeb et Ogier, n’a jamais vraiment dominé les débats. L’Espagne, l’Estonie, l’Irlande ont signé des exploits, mais rarement deux années de suite.
Et cette année encore, on va célébrer les 50 ans du premier passage de Timo Mäkinen. Un Ouninpohja à l’ancienne. Brutal. Sans compromis. Comme un retour aux sources dans un monde trop souvent aseptisé.
Ouninpohja n’est pas une spéciale. C’est une épreuve initiatique. C’est un cri lancé à 200 km/h dans la forêt. Une prière en langue finlandaise. Et une réponse universelle : le rallye, c’est ici.