Dès l’ouverture de la journée presse, l’effervescence était palpable au salon de Munich. Sourires, retrouvailles, odeur familière des halls d’exposition : les vétérans retrouvaient ce parfum de « vrai » salon automobile, absent depuis trop longtemps. Pourtant, derrière cette façade d’enthousiasme, un parfum de gravité flotte. Munich n’est pas seulement une fête de l’automobile. C’est un champ de bataille.
Dans cette capitale de l’industrie allemande, l’Europe automobile est venue montrer ses muscles. L’objectif : prouver que ses constructeurs savent se réinventer et défendre leur marché intérieur contre la vague montante des marques chinoises. Ces dernières, contraintes par une surcapacité colossale — 50 millions de voitures produites chaque année pour un marché domestique plafonnant à 28 millions — cherchent de nouveaux débouchés. Résultat : 22 millions de véhicules par an doivent trouver preneurs à l’étranger, Europe en tête, malgré les incertitudes liées aux droits de douane.
Les Européens serrent les rangs
La réponse des constructeurs européens est nette : il s’agit de réaffirmer leur identité et leur pertinence. Audi a frappé fort avec un spectaculaire coupé électrique conceptuel, héritier spirituel du TT. Massimo Frascella, son nouveau patron du design, reconnaît que la marque « s’était égarée » et veut initier une ère stylistique audacieuse et épurée.
BMW a choisi Munich pour dévoiler la nouvelle iX3, annonciatrice de la famille Neue Klasse, qui comptera 40 modèles électriques à terme. Plus qu’un SUV, c’est une démonstration de stratégie : rationaliser la production, améliorer la rentabilité et redonner de l’attrait à la gamme.
Chez Mercedes, les slogans « WELCOME HOME » s’affichent partout. Le constructeur veut rassurer ses fidèles, réactiver les valeurs de la marque. Pourtant, la tonalité est surprenante, très éloignée du fameux « Engineered like no other car » qui avait forgé l’image d’excellence technique.
Volkswagen, lui, regarde en arrière pour mieux avancer. L’offensive porte sur une gamme de petites électriques censées renouer avec « l’esprit VW » et répondre à une clientèle lassée de SUV interchangeables et de berlines surpuissantes. L’idée est claire : revenir à la simplicité et à l’accessibilité.
La montée en puissance des Chinois
Si l’Europe se montre en ordre de bataille, c’est aussi parce que la concurrence est déjà sur place, nombreuse. Munich 2025 compte plus de marques chinoises exposées que de constructeurs européens. Mais leurs stands sont relégués en périphérie des six halls, noyés parmi les équipementiers.
Difficile de les ignorer pourtant : Changan, Xiaomi, Aito — ce dernier soutenu par Huawei — alignent des nouveautés séduisantes. Les ambassadeurs de marque, jeunes et souriants, n’ont rien de conquérants menaçants : ils incarnent une autre vision, pragmatique, celle d’un marché mondialisé où acheter une voiture chinoise devient un choix de bon sens économique. Car, face à une offre compétitive et de plus en plus qualitative, difficile de reprocher à l’automobiliste européen de chercher le meilleur rapport qualité-prix.
Un salon sans fioritures, mais lourd de sens
Autre différence avec les salons d’antan : pas de shows grandiloquents, pas de danseurs ni de musique tonitruante. Les présentations vidéo géantes sont là, mais dans un registre sobre. « Comme les voitures électriques elles-mêmes : pas de bruit, pas de vibe », lâche un visiteur désabusé.
Cette sobriété n’est pourtant pas synonyme de fadeur. Au contraire, elle souligne l’importance du moment : derrière la mise en scène contenue, des avancées majeures se révèlent. Design renouvelé, autonomie accrue, modèles plus rationnels… Les Européens exposent leur riposte avec sérieux. Et les Chinois, avec leurs modèles au style parfois anonyme mais redoutablement efficaces, démontrent qu’ils sont désormais incontournables.
La bataille pour l’âme de l’automobile européenne
Munich 2025 restera comme un jalon. Ce n’est plus un simple salon, c’est une déclaration de guerre économique et culturelle. L’Europe se mobilise pour protéger son industrie, son savoir-faire, mais aussi sa place dans l’imaginaire collectif de l’automobile. En face, la Chine avance calmement, sûre de sa force de frappe industrielle.
La bataille ne fait que commencer. Elle ne se jouera pas seulement sur le terrain de la technique ou des prix, mais aussi sur celui de l’identité. Car si les voitures électriques finissent par se ressembler, que restera-t-il du caractère européen face à l’uniformisation mondiale ? C’est là que réside, plus que jamais, l’enjeu : défendre non seulement des parts de marché, mais une culture automobile.