En apparence, la nomination de François Provost à la tête du groupe Renault semble avoir suivi un processus rationnel, méthodique, presque « textbook ». Un dirigeant expérimenté, passé par la Corée, la Chine, les partenariats stratégiques, doté d’une solide connaissance interne du groupe, et plébiscité à l’unanimité par le comité de sélection. Pourtant, derrière cette façade bien huilée, c’est un signal très politique que Renault vient d’envoyer. Une nomination aux airs de message adressé autant aux partenaires qu’aux actionnaires, à l’État qu’aux concurrents. Et peut-être à Luca de Meo lui-même.
Une sidération… et une réaction
Le 15 juin dernier, lorsque Luca de Meo annonce brutalement sa démission aux membres du conseil d’administration — convoqués en urgence la veille — le constructeur entre dans une séquence imprévue, tendue, mais conduite tambour battant. L’onde de choc est forte : l’action chute de 10 %, les états-majors s’agitent, les actionnaires retiennent leur souffle.
De Meo, que l’on croyait durablement installé à la tête de Renault, quitte le navire après seulement quatre années à la barre. En coulisses, son flirt avec Stellantis et la perspective de succéder à Carlos Tavares avaient alimenté les rumeurs. L’opportunité manquée, il semble avoir préféré écrire un nouveau chapitre hors du secteur automobile, laissant le groupe qu’il avait partiellement redressé devant une équation délicate : maintenir le cap sans tout remettre en question.
Une transition éclair
Jean-Dominique Senard, président du conseil d’administration, a tenu à éviter un vide managérial prolongé. Dans le souvenir des six mois d’intérim chez Stellantis, Renault choisit l’ultra-réactivité. Deux cabinets de recrutement sont missionnés. Une première sélection rapide permet de distinguer cinq profils, dont deux sérieux candidats internes : Denis Le Vot (Dacia) et François Provost (achats et partenariats). Un externe, Maxime Picat, récemment débarqué de Stellantis, entre dans la danse… mais sa candidature est vite relativisée. Renault n’entend pas être un lot de consolation.
En trois semaines, les huit membres du comité de sélection auditionnent les finalistes. Parmi eux, un représentant de l’État, Alexis Zajdenweber, commissaire aux participations. Et c’est là que le processus, aussi méthodique soit-il, prend une tournure politique.
L’homme des partenariats… et des ministères
François Provost coche toutes les cases de la stabilité stratégique. Moins flamboyant que de Meo, moins charismatique peut-être que Le Vot, il séduit par sa solidité, son expérience internationale, son entregent avec les partenaires industriels. Mais c’est surtout son passé qui retient l’attention : Bercy, cabinets ministériels, relation fluide avec la puissance publique. Un profil rare dans un groupe où l’État reste le premier actionnaire avec 15 % du capital et des droits de vote.
Le message est limpide : Renault redevient un sujet d’État. Alors que les transitions énergétiques, industrielles et géopolitiques imposent une vigilance accrue sur l’autonomie technologique, le tissu industriel français et l’emploi, nommer un dirigeant « techno-compatible » avec la sphère publique est tout sauf anodin.
En pleine restructuration autour de la scission d’Ampere, avec Nissan en embuscade, le spectre de nouvelles alliances (voire de nouvelles cessions) plane toujours. Avoir à sa tête un homme qui « sait parler à l’État », selon les confidences de plusieurs administrateurs, est un choix stratégique à haute valeur diplomatique.
Renault, entreprise publique en habits de capitaliste
Depuis l’ère Ghosn, Renault tente de concilier logique industrielle et impératifs politiques. Luca de Meo avait imposé une vision audacieuse, parfois clivante, mais ambitieuse : relance stylistique (R5, Scenic Vision), électrification accélérée, revalorisation de la marque par une pseudo ouverture à des partenaires étrangers. Son départ soudain laisse un vide que Provost ne comblera pas par le charisme, mais par la cohérence.
Car au fond, Renault ne cherche pas un visionnaire. Elle cherche un stabilisateur. Quelqu’un qui maîtrise les équilibres subtils entre État, partenaires japonais, ambitions européennes et exigences financières. À ce titre, François Provost pourrait bien être le parfait « homme de compromis », à l’aise sur les bancs de Bercy comme dans les salons de Tokyo.
Un avenir à surveiller de très près
En filigrane, une interrogation demeure : François Provost est-il là pour durer ? À 56 ans, il a l’âge pour s’inscrire dans le temps long. Mais ses liens étroits avec l’appareil d’État nourrissent déjà des spéculations sur une Renault qui deviendrait un outil politique assumé, au moment où l’Europe cherche à renforcer sa souveraineté industrielle. Ce choix augure-t-il d’un rapprochement plus clair avec l’État stratège ? D’un repli prudent sur les fondamentaux français du groupe ? Ou au contraire, d’une diplomatie industrielle tous azimuts avec l’Asie, les Amériques et les partenaires européens ? Dans dix ans, Renault sera-t-il contrôlé par Geely, ou Geely aura-t-il quitté le Groupe Renault et ses filiales ?
Une chose est sûre : Renault, plus que jamais, sera scrutée comme un acteur de l’équilibre géopolitique européen. Et son nouveau capitaine ne devra pas seulement conduire une entreprise. Il devra aussi manœuvrer dans un théâtre d’influence où chaque mot compte, chaque geste est interprété, et chaque silence… suspect.